Transferts fédéraux pour garderies: financer le démantèlement?

«[...] le gouvernement a préféré miser sur le développement d’entreprises à but lucratif pour combler les besoins en matière de service de garde», se désole les auteurs.
Photo: Getty Images «[...] le gouvernement a préféré miser sur le développement d’entreprises à but lucratif pour combler les besoins en matière de service de garde», se désole les auteurs.

Nous apprenions récemment que le gouvernement fédéral débloquait une somme importante pour financer les services de garde à travers le Canada. L’argent sera distribué aux provinces, qui devront l’investir pour améliorer leur réseau. Le Québec recevra quant à lui 88 millions de dollars pour les trois prochaines années et bénéficiera d’une entente très souple puisque, selon ce que rapporte une source gouvernementale, « le Québec, c’est le modèle à suivre au Canada ». Voilà qui est ironique quand on constate l’effort mis par le gouvernement de Philippe Couillard pour miner le réseau de CPE…

En effet, dans les dernières années, les décisions gouvernementales ont favorisé le développement du réseau privé non subventionné alors même que le réseau public n’était pas achevé. En dix ans, les places dans les garderies privées non subventionnées ont augmenté de plus de 1253 % comparativement à un maigre 24 % pour les CPE. Il s’agit d’un choix discutable, d’autant plus que les études s’accumulent pour démontrer la supériorité des services offerts en CPE en comparaison des garderies privées. Sans égard à la science, le gouvernement a préféré miser sur le développement d’entreprises à but lucratif pour combler les besoins en matière de service de garde. Il va sans dire que, quand vient le temps de choisir entre rentabilité et éducation à la petite enfance, ce type d’entreprise peut procéder à des arbitrages dommageables pour les enfants.

Ainsi, par les réformes financières imposées par le gouvernement (modulation des tarifs, bonification des crédits d’impôt, compressions dans les CPE), on sabote ce qui rend les CPE particuliers et efficaces : leur gouvernance démocratique, les bonnes conditions de travail des éducatrices, les tarifs uniques pour toutes les familles, le programme éducatif riche et stimulant. Et, malheureusement, l’argent qui sera transféré du gouvernement fédéral a très peu de chances de se retrouver dans les CPE. Québec utilisera le prétexte que son réseau est mieux développé pour plutôt investir ailleurs.

Familles dans le besoin

 

En même temps, l’ironie est peut-être du côté d’Ottawa, qui présente son plan pour améliorer les réseaux de garde d’enfants de moins de six ans mais qui demande aux provinces de cibler seulement les familles dans le besoin. On peut comprendre que certaines familles ont plus de difficulté que d’autres à trouver une place abordable et de qualité pour leurs enfants, mais le défi est de taille pour l’ensemble des parents. À Toronto, par exemple, le coût médian pour un mois de garde en 2016 était de 1649 $, soit plus que le revenu hebdomadaire médian pour une famille… Il semble aussi que le plan fédéral laisse les provinces libres de choisir quel élément prioriser. Pour certaines, cela pourrait dire conserver des tarifs prohibitifs, mais exiger des plages horaires étendues dans les quartiers défavorisés. Nous sommes loin d’un projet global et concerté.

Il est vrai que notre système de garderies est meilleur que ceux du reste du Canada. Cependant, s’arrêter là serait une grave erreur. D’une part, il faut mettre fin aux réformes qui changent la nature du service, en réduisent la qualité et l’accessibilité. Tout enfant, peu importe son code postal ou ses besoins particuliers, mérite de pouvoir s’épanouir dans un milieu sain et stimulant sans que cela exerce une pression trop forte sur le portefeuille de ses parents. D’autre part, même avant les compressions, certains changements étaient souhaitables. Par exemple, l’offre pour répondre aux besoins des parents travaillant à des horaires atypiques n’a jamais été à la hauteur de la demande. Il est décevant de voir que le gouvernement de Philippe Couillard, plutôt que de voir l’opportunité de rendre notre réseau encore plus performant et digne d’inspiration choisit de maintenir le statu quo.

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