La tenue du Grand Prix justifie un débat sur la prostitution juvénile

Chaque année, le Grand Prix de Formule 1 de Montréal entraîne le retour de l'épineuse question du commerce sexuel sans pour autant nous pousser à tirer des leçons, souligne l'auteur.
Comme femme et députée à l’Assemblée nationale, j’ai été profondément bouleversée par toutes les histoires et les témoignages entendus au cours de la dernière année sur l’un des pires fléaux de notre temps : la prostitution juvénile et le proxénétisme qui affligent nos jeunes filles.
Le Québec n’échappe pas à ce phénomène toujours très présent dans notre société. Il y a quelques années éclatait un scandale épouvantable concernant les ramifications troublantes d’un réseau de prostitution juvénile très organisé. Tous se rappellent les difficiles témoignages très médiatisés que nous avions entendus à l’époque.
Plus récemment, les différentes fugues survenues au Centre jeunesse de Laval ont réveillé de douloureux souvenirs chez les Québécois. Il n’est pas normal qu’il y ait autant de cas de prostitution ou de proxénétisme autour des centres jeunesse, et particulièrement celui de Laval. Il est inacceptable que nos centres jeunesse soient devenus des terrains fertiles pour le commerce sexuel.
Nous voilà à une semaine du Grand Prix de Formule 1 de Montréal à l’occasion duquel, chaque année, cette épineuse question revient dans l’actualité avant de retomber dans l’oubli et sans qu’on ait eu le temps de tirer véritablement des leçons.
Je refuse que le Québec reste dans l’inaction plus longtemps. Il nous faut rassurer les pères et les mères de famille qui se font un sang d’encre face aux dangers de la prostitution juvénile. Mettons-nous quelques secondes à la place des familles qui vivent ce calvaire et tous comprendront l’urgence d’agir. Imaginez le désarroi de ces parents qui, un bon matin, réalisent que leur fille a disparu. Qui, le lendemain, s’aperçoivent qu’elle ne rentre pas. Ni le surlendemain. Imaginez l’horreur qu’ils ressentent lorsque l’évidence leur saute aux yeux.
Cette nécessité d’agir, cette prise de conscience, elle commence par nous, élus et membres de l’Assemblée nationale. Nous devons collectivement reconnaître ce fléau, travailler en prévention auprès des jeunes et mettre en place des mesures costaudes pour protéger nos adolescentes et adolescents des exploiteurs. C’est urgent.
Dans ce contexte et dans le but de se doter de moyens efficaces pour lutter contre l’exploitation et le tourisme sexuel, il est impératif de tenir une commission parlementaire sur les enjeux entourant la prostitution juvénile. Parents et intervenants pourront venir nous faire part de leurs points de vue et nous soumettre des pistes de solutions pour réduire les méfaits de cette pratique criminelle.
De nombreux défis pressants
La tâche est rude. Les défis se posent à plusieurs niveaux.
Le premier auquel nous devons nous attarder touche le profil des jeunes femmes à risque. Notre société évolue. Nos jeunes ne vivent plus dans la même réalité que celle dans laquelle j’ai grandi. Aujourd’hui, celles qui risquent de sombrer dans la prostitution proviennent de n’importe quel milieu socio-économique et deviennent de plus en plus difficiles à repérer. Ce qu’elles ont en commun, cependant, c’est leur vulnérabilité. Il nous faut adapter nos politiques aux nouvelles réalités et anticiper les risques découlant de la prostitution juvénile.
Le deuxième défi concerne le recrutement des filles par les gangs de rue. À l’ère des réseaux sociaux, à l’ère où les photos se prennent et se partagent à une vitesse fulgurante, il est de plus en plus facile pour les prédateurs sexuels de choisir et d’endoctriner leurs victimes. Cela ne prend qu’un seul clic ou quelques mots échangés pour qu’une vie soit chamboulée. L’achat de services sexuels via Internet est également un phénomène qui n’est plus à démontrer, et d’autant plus répandu lors d’événements majeurs comme le Grand Prix de Montréal.
Finalement, la lutte quotidienne à la banalisation de la sexualité doit être au coeur de toutes nos politiques. On ne peut plus se permettre d’ignorer ce qui saute aux yeux : les exploiteurs recrutent aux portes des centres jeunesse, de nos écoles, sur les réseaux sociaux ; les dénonciations d’agressions ne sont pas prises avec tout le sérieux nécessaire ; et j’en passe. Il faut plus que jamais faire de la lutte contre la banalisation de la sexualité une priorité gouvernementale.
On doit se réunir autour d’une même table, discuter de ces défis, poser de sérieuses questions aux experts et à ceux qui voient la détresse dans les yeux de nos filles au quotidien. Il nous faut un plan élaboré pour véritablement contrer le phénomène de la prostitution juvénile, une vraie stratégie gouvernementale pour faire de la prévention auprès de nos jeunes, en plus d’évaluer si les ressources en place sont suffisantes pour parer à ces problèmes.
Nos filles méritent qu’on se batte pour elles. Il ne faut pas baisser la garde dans cette lutte à la prostitution juvénile. Vivement une commission parlementaire pour entendre tous les experts et trouver des remèdes à ce fléau.
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