Trump dévore les médias

Se moquant des médias, dont il est en grande partie un produit grâce à la téléréalité The Apprentice qu’il a animée pendant 11 ans, Donald Trump a rendu l’improbable possible.
Alors que le domaine de l’information partage maintenant la scène avec l’industrie du spectacle, que la nouvelle est devenue un produit commercial où les nuances et la complexité de notre monde ne sont que peu expliquées parce que pas rentables, un homme au discours simplificateur répondant au cynisme ambiant est devenu président.
Quand la rapidité est la valeur première des salles de rédaction, l’information devient fragmentaire et souvent éphémère. On laisse alors beaucoup de place à l’opinion qui, elle, se forge aussi rapidement qu’un préjugé. Des commentateurs se lancent alors dans l’interprétation du discours plutôt que d’aller aux sources du discours même. On multiplie les sondages pour masquer une couverture médiatique incapable de préciser les enjeux. Le site américain Real Clear Politics a d’ailleurs comptabilisé, de mai à novembre 2016, 260 sondages, dont seulement 29 donnaientDonald Trump gagnant ! Les outils de mesure semblent ignorer la colère et le désenchantement. De plus en plus de citoyens résistent et refusent de collaborer aux enquêtes d’opinion.
Pour le citoyen, distinguer l’essentiel parmi l’abondance de l’information devient périlleux. Et face à ce monde qu’il ne comprend plus et qui change rapidement, les propos de Donald Trump dénonçant l’establishment en place sont rassurants.
Alors que des communautés entières aux États-Unis sont frappées durement par la mondialisation de l’économie entraînant une hausse du chômage et un appauvrissement des ménages, Donald Trump est celui qui a dit vouloir écouter les délaissés du système. Son discours a répondu à leurs inquiétudes et à leur colère.
Timide contre-pouvoir
Entre-temps, la concentration de l’information entre les mains de quelques grands conglomérats a eu pour conséquence de réduire le nombre de journalistes. Jamais, depuis 40 ans, la force journalistique américaine n’a été aussi peu nombreuse. L’essentiel des effectifs se retrouve maintenant concentré dans les grandes agglomérations, loin des arrondissements industriels qui, autrefois, incarnaient la fierté des États-Unis.
Alors que le pouvoir des médias, appelé aussi le 4e pouvoir, doit critiquer le 1er pouvoir, les Américains sont en mesure de constater que, dans certains dossiers, le rôle de contre-pouvoir que doivent jouer les médias s’exprime bien timidement. Ainsi, toutes les ententes internationales de commerce négociées ces dernières décennies ont été encouragées par les différents gouvernements américains avec l’appui des grands médias et de leurs experts. Les conséquences de ces ententes sur la main-d’oeuvre industrielle semblent avoir été sous-estimées. Les négociations menant à ces ententes demeurent secrètes et hermétiques. Le rôle des médias à cet égard est un échec vibrant ; personne ne comprend ce qui se trouve dans ces documents. La classe politique, elle, ne semble pas vouloir démocratiser le processus de négociation. Face au mystère, les citoyens imaginent alors de fantomatiques mises en scène et des théories du complot pullulent sur les réseaux sociaux. Ici, le 1er et le 4e pouvoir, à l’exception de quelques médias marginaux, semblent marcher main dans la main. De l’extérieur, la classe politique et la classe médiatique apparaissent alors comme les protagonistes d’un même jeu.
Dans ce contexte, quand Donald Trump a affirmé qu’il incarnerait « le règne du peuple, plutôt que celui des groupes d’intérêts », il a reçu l’attention de ceux à qui la classe politique ne s’adresse plus. Donald Trump est devenu le paravent réconfortant d’une partie importante de la population américaine affaiblie par le déclin industriel de sa nation.
Et pendant que ce candidat non orthodoxe multipliait les déclarations incendiaires, outrepassant toutes les règles et les conventions encadrant traditionnellement une campagne à la présidence des États-Unis, les médias américains, déstabilisés par tant de désinvolture, ont appliqué à ce personnage hors norme les mêmes normes journalistiques qu’ils appliquaient depuis des décennies, comme le concept d’équilibre dans le traitement de l’information entre les différents candidats.
On a ainsi mis sur le même pied la seule histoire des courriels non sécurisés d’Hillary Clinton à l’ensemble des scandales visant Donald Trump, et ce, par souci d’équité… Dans les jours précédant le scrutin, les principaux journaux des États-Unis prenaient tous position en faveur d’Hillary Clinton, mais il était trop tard. Ainsi, le vociférant personnage a dévoré ceux qui l’ont fait connaître aux Américains. Plusieurs grands médias reconnaissent actuellement leurs torts, du New York Times au magazine The Atlantic. On a laissé une place démesurée au personnage parce qu’il suscitait beaucoup de curiosité par son approche spectaculaire et inédite.
À tous ces analystes qui annonçaient sa défaite, l’ancien animateur de l’émission The Apprentice est donc en mesure de dire : « You’re fired ! » (Vous êtes virés !)