Vive la rentrée… sexiste

«En cette rentrée, c’est que le sexisme au cégep et à l’université ne se trouve pas seulement dans les mains baladeuses, les regards de trop, les invitations non-désirées, les commentaires disgracieux, les agressions avérées», selon Martine Delvaux.
Photo: Michaël Monnier Le Devoir «En cette rentrée, c’est que le sexisme au cégep et à l’université ne se trouve pas seulement dans les mains baladeuses, les regards de trop, les invitations non-désirées, les commentaires disgracieux, les agressions avérées», selon Martine Delvaux.

Je suis, comme des centaines de mes collègues, devant la rentrée scolaire. Professeure de littérature des femmes, j’ai constaté, comme je le fais chaque fois et si je m’en tiens aux noms inscrits sur ma liste, que seuls 10 % des visages que j’aurai devant moi portent des noms masculins. On me dira que ça s’explique : les programmes de lettres sont fréquentés majoritairement par des femmes. C’est vrai. Mais toutes proportions gardées, force est de constater que les cours de littérature des femmes n’intéressent… que les femmes. Les autres ne se sentent pas concernés.

Ils y trouvent (disent certains) une littérature intime, privée, qui ne parle pas de la condition humaine dans son universalité. Comment se fait-il que moi j’y vois la modernité littéraire, une recherche textuelle dont l’impact sur l’histoire de la littérature est indéniable ? Les femmes ne valent-elles pas la peine ? Pourquoi est-ce si difficile de les mettre au programme dans des cours qui ne portent pas sur des thématiques, des problématiques, des corpus qui ne sont pas spécifiquement « féminins » ? Il faut lire des livres signés par des noms masculins qui représentent la « majorité ». Et pourtant… Les programmes de lettre sont fréquentés en majorité par des femmes. Cherchez l’erreur.

La vieille et l’homme fort

Voilà pour ma rentrée littéraire ! Mais il y a plus. Éduc’alcool profite de l’occasion, et du festival des initiations bien arrosées, pour lancer une nouvelle série d’affiches encourageant la modération. On a même repêché Hugo Girard, dit l’homme fort du Québec, pour préparer cette campagne « musclée » — le site d’Éduc’alcool nous avertit : « Les plaignants potentiels sont toutefois avisés qu’un des exploits de Hugo Girard est d’avoir tiré un avion de 80 tonnes sur une distance de plus de 30 mètres en 43 secondes. » Me voilà apeurée…

Dans la suite logique de cette mise en garde, un petit survol des affiches nous rassure quant à l’organisation sexuelle de notre société (sans parler de la très grande blancheur des visages représentés), par l’entremise des campus des cégeps et des universités auxquels la campagne est destinée. « As-tu vu à qui t’as donné ton numéro ? » nous montre une femme dans ce qu’on devine être la cinquantaine (cet âge affolant où les femmes sont considérées comme vieilles et, doit-on le préciser, affreusement non désirables) agrippée aux épaules d’un jeune homme vu de dos. La femme, elle, est de face, chemisier léopard, cheveux platines bouclés à la Marilyn, ultra-maquillée, les lèvres dans un duck-face caricatural.

Sexisme et caricature

 

Car on le devine : ça se veut une caricature. Le problème, c’est que ce n’est pas la seule image qui reconduit de façon massive les stéréotypes sexuels. La suivante, celle qui met en scène Hugo Girard — « As-tu vu qui t’as traité de douchebag ? » —, montre l’homme fort en contre-plongée, vêtu de motifs militaires, les bras croisés, regard menaçant. Est-ce nécessaire de mettre en lumière l’immense différence entre ces deux images ? La force et la puissance du personnage masculin. L’enlaidissement et l’humiliation du personnage féminin.

Le sexisme aurait été le fait de ces deux affiches seulement, je n’aurais peut-être rien dit. Mais l’ensemble des affiches créées par Éduc’alcool présentent certaines constantes. Dans celle qui porte le titre : « Quand on boit, on ne conduit pas. Et si on boit trop, on n’est pas un cadeau », la première moitié du slogan est en bleu et la deuxième, bien entendu, en rose. Un homme qui boit ne doit pas conduire, ça va de soi, et une femme qui boit, quand elle boit, c’est bien connu, elle devient ingérable. Cette même femme, comme le montrent d’autres images, tombe au sol, fait honte à ses copines, n’a pas de classe. Alors que son pendant masculin, lui, en vient forcément à donner un coup de poing à ses copains. Ce n’est pas glorieux, mais il y a un écart important entre la représentation de la force physique au masculin, et le renvoi sempiternel des femmes à la honte.

Loin de moi le désir de mettre en cause le travail d’Éduc’alcool ! Ce que je veux souligner, en cette rentrée, c’est que le sexisme au cégep et à l’université ne se trouve pas seulement dans les mains baladeuses, les regards de trop, les invitations non désirées, les commentaires choquants, les agressions avérées… Le sexisme se trouve aussi dans ce qu’on donne à lire et qu’on considère comme méritant d’être étudié, dans les voix qu’on privilégie, celles qu’on daigne vouloir entendre ou faire parler, dans les modèles qu’on propose, dans notre lecture du monde. Ça se passe sur les murs des couloirs tout autant que dans nos salles de classe.


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