Les médailles aux femmes, les éloges aux hommes

À un journaliste qui lui demandait si elle était « la prochaine » Michael Phelps ou Usain Bolt, la gymnaste Simone Biles a répondu : « Je ne suis ni la prochaine Michael Phelps ni la prochaine Usain Bolt. Je suis la première Simone Biles ! »
Photo: Toshifumi Kitamura Agence France-Presse À un journaliste qui lui demandait si elle était « la prochaine » Michael Phelps ou Usain Bolt, la gymnaste Simone Biles a répondu : « Je ne suis ni la prochaine Michael Phelps ni la prochaine Usain Bolt. Je suis la première Simone Biles ! »

À l’ouverture des Jeux, le Comité olympique soulignait qu’à Rio, plus de femmes prendraient part aux compétitions que jamais auparavant dans l’histoire de l’olympisme. Les femmes représentent cette année 45 % des athlètes, une proportion qui a doublé en quarante ans.

Et les femmes ne sont pas seulement présentes aux Jeux, elles y brillent. Au sein de la délégation canadienne, faut-il le rappeler, il s’est écoulé neuf jours de compétition avant qu’un homme ajoute une médaille à la récolte canadienne. Chez nous, il s’est trouvé des animateurs de radios peu fréquentables pour voir dans les performances extraordinaires de nos femmes athlètes une nouvelle preuve de la domination féminine au sein de la société canadienne. Pourtant, et au-delà de ce genre de bêtise, les performances sportives des femmes ne sont pas reconnues à leur juste valeur.

Aux Jeux, un commentateur sportif a suscité la grogne en attribuant l’essentiel du mérite du record du monde établi par une nageuse hongroise à son mari et entraîneur. Le Chicago Tribune a présenté dans ses manchettes une triple médaillée olympique comme « la femme » d’un sportif professionnel. NBC a omis de diffuser en direct la cérémonie de remise de médailles de Simone Manuel, alors qu’elle est devenue la première nageuse américaine noire à remporter une épreuve individuelle de natation aux Olympiques. Et au lendemain d’un record du monde établi par Kathy Ledecky, c’est la médaille d’argent de Michael Phelps qui faisait les grands titres.

Ces maladresses journalistiques ne sont pas propres au contexte olympique, elles sont à l’image du sexisme qui teinte la couverture sportive en général. En 2014, une étude de la Cambridge University Press s’est penchée sur un important corpus d’articles sportifs. Les chercheuses ont constaté que les références à l’apparence physique et au statut conjugal sont beaucoup plus fréquentes lorsqu’il est question d’athlètes féminines, et que ces dernières sont mentionnées trois fois moins souvent dans les analyses sportives. Même le vocabulaire employé pour décrire les prouesses des femmes diffère : moins élogieux, plus axé sur la « participation » des athlètes et moins sur leur « victoire »…

Des répercussions concrètes

 

La marginalisation des performances sportives des femmes n’est pas qu’un simple enjeu d’équité dans la représentation. Cela a des répercussions concrètes, notamment sur les moyens et sur le soutien dont disposent les femmes et les filles pour accéder à la formation sportive et développer leur talent. Les sportives professionnelles reçoivent de moins gros salaires que les sportifs. Les entreprises versent l’écrasante majorité des commandites aux athlètes ou aux sports masculins. Même la science accorde moins d’attention aux sportives, comme le révélaient récemment les travaux de Joe Costello, un psychologue du sport britannique. Les femmes sont mal représentées dans les tests cliniques, très peu d’études (moins de 3 %) portent particulièrement sur elles, et si elles sont mieux représentées dans les études sur l’obésité et la perte de poids, elles sont dramatiquement sous-représentées lorsqu’il est question de techniques de convalescence et d’amélioration des performances.

Un modèle alternatif

 

D’autre part, la figure de la sportive doit être valorisée parce qu’elle offre un modèle alternatif de féminité. Alors que partout dans les médias et la culture de masse, le corps féminin est d’abord présenté comme un instrument de séduction ou posé comme une vulnérabilité inhérente à la condition féminine, les performances des sportives de haut niveau émettent un contre-rythme. Le corps féminin, qui se révèle au moins aussi puissant, habile et endurant que le corps masculin, ébranle l’idée selon laquelle les femmes sont des êtres fragiles et peu autonomes, ce qui a trop souvent servi à justifier qu’on les relègue à une posture de subalterne, de dominée. D’ailleurs, c’est peut-être parce que la femme athlète ébranle une conception toute patriarcale de la féminité que l’on renvoie sans cesse les sportives à leur apparence physique ou à leur condition d’épouse, de mère, à leur potentiel de séduction…

C’est sans doute l’extraordinaire gymnaste américaine Simone Biles qui, sans le savoir, a eu le fin mot de l’histoire. À un journaliste qui lui demandait si elle était « la prochaine » Michael Phelps ou Usain Bolt, elle a répondu : « Je ne suis ni la prochaine Michael Phelps ni la prochaine Usain Bolt. Je suis la première Simone Biles ! » La remarque est doublement juste : elle souligne d’abord l’impertinence de la question, alors qu’aucun journaliste ne s’est empressé de demander à Phelps ou Bolt si ses performances pouvaient être assimilées à celles d’un autre athlète dont les prouesses n’ont rien à voir dans leur nature. Ensuite, et surtout, elle renvoie à la nécessité de présenter et valoriser de nouveaux modèles sportifs, en l’occurrence féminins, et rendre aux femmes la reconnaissance qui leur revient. Et si cette remarque est valable sur la piste de course ou dans la piscine olympique, elle peut et doit s’étendre à l’ensemble de la société…

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