Les supercliniques, une brèche qui profite au privé

Un débat public s’impose sur la vision de notre système de santé au Québec.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Un débat public s’impose sur la vision de notre système de santé au Québec.

Depuis longtemps, nous souhaitons une solution au débordement des urgences. Une solution qui permettra aux patients malades d’être vus dans un lieu approprié et dans un délai respectable.

Pour le gouvernement, cette solution sera les supercliniques (GMF-R). Alors qu’une cinquantaine ont été promises lors des dernières élections, les premières devraient ouvrir leurs portes au début de 2016. Chacune sera composée d’une trentaine de médecins, d’infirmières, d’un service de radiologie, d’un accès rapide aux spécialistes, d’un service de laboratoire ainsi que de toutes les autres personnes nécessaires. Comment pourrions-nous critiquer ces supercliniques ? Ne sont-elles pas une réponse au besoin criant de la population d’avoir accès aux médecins quand elle en a besoin, surtout les personnes sans médecin de famille ou celles dont le médecin n’est pas disponible ?

Depuis une quinzaine d’années, la solution prônée par le gouvernement pour répondre au manque de services de première ligne et aux retards dans les interventions chirurgicales (les genoux, les hanches et les cataractes) est d’utiliser des cliniques privées. La création des GMF (les Groupes de médecine familiale) et les CMS associés (les Centres médicaux spécialisés) étaient la solution retenue. Mais attendez : les GMF et les CMS associés ne sont pas privés ! Quand nous fréquentons ces cliniques, elles prennent nos cartes de la RAMQ. Nous payons quelques frais accessoires, mais le gros de la facture est assumé par la RAMQ, n’est-ce pas ? Certes. Mais ces cliniques, qu’on parle de GMF, de CMS associé, ou même les vieilles polycliniques sont des entités privées. Elles n’appartiennent pas à l’État. Elles sont la propriété d’investisseurs privés qui louent les bureaux aux médecins (avec ou sans un service administratif inclus).

Elles peuvent aussi être des cliniques avec des médecins comme propriétaires gérants (avec ou sans d’autres investisseurs privés). Les médecins qui participent à notre régime public de santé ont le droit de facturer la RAMQ pour leur travail. En conséquence, le financement du roulement quotidien de ces cliniques vient surtout de la facturation à la RAMQ, des frais accessoires et de la facturation aux patients des services de radiologie non assurés. Examinons surtout cette option du réseau privé où les médecins sont propriétaires ou gérants (les GMF, les CMS, les supercliniques, etc.), ce qui est plus nuisible à notre système de santé public.

Le gouvernement prend une décision consciente et calculée de développer ce réseau privé financé par les contribuables. Ce qu’on appelle une prestation privée (l’offre de service par une clinique privée) avec un financement public (payé par nos impôts). Cette brèche profitant à la prestation privée a des conséquences néfastes pour notre système de santé public : moins d’investissements dans le réseau public, une migration des médecins et du personnel professionnel vers le privé, plus de coûts assumés par les patients (les frais accessoires sont interdits en établissement public) et l’ouverture encore plus grande à un système à deux vitesses.

De plus, en clinique privée, les employés, qui ne proviennent pas d’un établissement public, ne sont pas syndiqués. En conséquence, leurs salaires et leurs avantages sociaux sont moindres. Cela permet aux cliniques privées de faire du profit au détriment des conditions de travail des employés de santé.

Les médecins ne font que ce que les cadres légaux déterminés par le gouvernement leur permettent de faire. Le gouvernement, sans débat public, décide d’encourager la vision d’un système de santé où le réseau public a de moins en moins de la place. Une vision d’un réseau de la santé comme aux États Unis, où le réseau public dessert les pauvres et la classe moyenne sans assurance privée, et un réseau privé pour les autres.

Notre réseau de santé est à la croisée des chemins. Prendrons-nous la voie de The Children’s Clinic, une clinique privée (avec ses frais accessoires, ses laboratoires privés, etc.) à la porte du Centre de santé universitaire de McGill, ou suivrons-nous l’exemple du CLSC et centre de services ambulatoires de Vaudreuil-Dorion ? Dans ce dernier cas, afin de répondre aux besoins d’une population de 125 000 personnes, sans hôpital, le ministère a fait construire un centre ambulatoire avec les services de laboratoire, de radiologie, d’électrophysiologie, une clinique de spécialistes, etc. avec les mêmes règles que celles appliquées dans un établissement public (pas de frais accessoires, employés syndiqués, etc.).

Un débat public s’impose sur la vision de notre système de santé au Québec : un système accessible, gratuit et universel ou un système qui profite aux intérêts particuliers.

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