La gestion de la médecine nous rend malades

Le récent rapport de la vérificatrice générale (VG) nous a confirmé un dépassement de coûts de 417 millions de dollars en santé, le gouvernement ayant sous-évalué le montant de la facture d’honoraires payés aux médecins. Le gouvernement Couillard affirme qu’il est impossible de récupérer les sommes et mise plutôt sur une rectification de la méthode du calcul de ces honoraires sur le plan prévisionnel. Or, cette solution demeure jumelée au fameux « bar ouvert » offert aux médecins, décrié par plusieurs. Cette situation est non seulement inéquitable pour les autres professionnels de la santé, mais elle engendrera à nouveau des augmentations en honoraires des médecins qui devront être financés par d’autres compressions.
Ces dernières années, les honoraires en services piluliers des pharmaciens offerts à la population ont connu une nette augmentation en raison notamment du vieillissement de la population et de la complexité grandissante des traitements. Devant cet accroissement traduit par un dépassement de coûts, la solution du gouvernement Couillard fut sans appel : les honoraires versés « en trop » aux pharmaciens seraient récupérés à l’avenir par une baisse de leurs honoraires. En ce contexte de rigueur budgétaire, comment expliquer que la même solution ne soit pas également applicable aux médecins ? Difficile de ne pas associer les 400 millions récupérés auprès des pharmaciens aux 417 millions facturés en trop à la RAMQ par les médecins devant lesquels notre gouvernement veut fermer les yeux : il ne devrait pas y avoir deux poids deux mesures.
Pour contenir les coûts du secteur de la santé tout en consentant des augmentations et des dépassements de coûts substantiels aux médecins, notre gouvernement coupe dans plusieurs autres secteurs. Les compressions successives en santé publique et dans la mesure préventive qu’est l’usage du pilulier auront un impact direct sur notre santé et entraîneront à terme une augmentation du nombre d’actes des médecins : c’est « moins prévenir, pour plus guérir. » Considérant l’absence de plafond au nombre d’actes facturés annuellement par les médecins, il est prévisible que les économies provenant de ces coupes risquent d’être rapidement transformées en actes qui généreront à leur tour davantage de coûts. Qualifier le mode de rémunération des médecins de désuet prend alors tout son sens.
À quand, en première ligne, la présence d’un mode de rémunération majoritairement par patient (capitation)? Ce sera alors la qualité de la prise en charge qui sera payante pour le médecin, et non le nombre d’actes facturés à la RAMQ. Contrairement à ce que prétend M. Couillard, nous ne sommes pas dans un régime qui s’apparente à la capitation, car dans un tel régime le nombre d’actes réalisés par les médecins n’influe pas sur la somme totale qui leur est versée. L’objectif inavoué des dernières réformes en santé : atténuer les effets pervers de la rémunération à l’acte.
Étant la seule à détenir l’ensemble des données sur les dépenses de la RAMQ, la VG l’a clairement énoncé dans son rapport : les incitatifs financiers instaurés pour les médecins ne favorisent pas suffisamment l’accessibilité aux services. Lorsque près de 7 milliards de dollars sont consentis à la rémunération des médecins, il devient légitime de nous questionner quant à la pertinence de ces dépenses. Cette évaluation passera par une plus grande transparence et par un accès aux données de la RAMQ, car ce qui n’est pas mesuré ne peut pas être amélioré.
Pour nous assurer que nos dépenses en santé soient réellement un investissement, il y a urgence à revoir en profondeur le mode de rémunération des médecins ainsi que notre accès à l’information. En santé, le gouvernement ne peut plus se permettre de confondre « productivité » avec « performance ». Notre État a des ressources financières limitées. Permettre l’illimité à l’un cause nécessairement préjudice aux autres. Notre santé étant davantage déterminée par nos habitudes de vie et notre niveau d’éducation que par notre système de santé, c’est se rendre malade que de couper dans les services préventifs et dans la santé publique. Tout comme c’est se rendre malade que de couper dans l’éducation. Encore et encore soigner plus… au détriment de la santé globale de la population.