«Les recettes pompettes»: une apologie de l’excès

Depuis février dernier, une émission hebdomadaire, Les recettes pompettes, animée par Éric Salvail est diffusée sur nos ondes télé. Selon la description officielle, l’objet de cette émission-spectacle est d’« inviter un nouvel artiste à se joindre à [l’animateur] pour cuisiner une recette qui devra ressembler le plus possible à l’originale, tout en buvant quelques shooters ». La série parvient ainsi, sans doute au grand plaisir de son animateur, à se démarquer des autres émissions de cuisine par un concept tout spécial : se soûler au petit écran. En effet, la préparation culinaire passe au second plan et fait place à la consommation, parfois excessive, d’alcool.
Plus qu’un délice complémentaire à une émission divertissante ou informative, cette consommation devient l’objet même de l’émission. « L’objectif, c’est d’être pompette ! » dit joyeusement Salvail avec « ses chums de brosse ». Le volet problématique de ce concept ne réside pas tellement dans la consommation d’alcool à la télévision, élément qui se manifeste déjà dans plusieurs émissions populaires — on n’a qu’à penser à Tout le monde en parle —, mais dans l’apologie de l’excès que réussissent à véhiculer M. Salvail et ses invités, et par extension V télé. N’oublions pas que ces vedettes qui « prennent un coup » sans autre objectif sont aussi celles qui servent de modèles, voire d’idoles à un large éventail du public québécois, mineurs inclus. Quel est le problème, vous direz ?
Le noyau du problème réside dans le revers de la médaille qui n’est, soit dit en passant, pas du tout abordé par Lesrecettes pompettes, c’est-à-dire les méfaits majeurs et incontournables de l’abus d’alcool au Québec et ailleurs dans le monde. Pire, M. Salvail présente un de ses invités comme un trooper après qu’il a ingurgité quelque dix shooters. Boire jusqu’à (et au-delà de) l’ivresse ou « brosser », pour reprendre le terme utilisé dans l’émission, témoigne-t-il d’une audace qui mérite notre admiration ? Alors pourquoi le Canada, comme plusieurs autres pays, a-t-il mis en place des moyens pour contrer les effets néfastes de l’alcool sur la santé, en mettant en place des organismes comme Éduc’alcool, auteur du fameux slogan « la modération a bien meilleur goût » ?
Rappelons ici quelques statistiques à ce sujet. Au Québec, selon les chiffres les plus récents (INSPQ, 2002), 1,8 % des décès annuels étaient attribuables à l’alcool. Durant cette même période, au Québec toujours, les coûts des soins de santé attribuables à l’alcool dépassaient les 650 millions, rattrapant bêtement les bénéfices nets de la vente d’alcool pour la même année ! En outre, selon un rapport publié en mai 2014, l’OMS prévient que l’alcool est responsable de 6 % des décès chaque année dans le monde, que ce soit à cause des maladies infectieuses ou cardiovasculaires, du diabète, des accidents automobiles, des blessures ou des homicides. C’est quelque 3,3 millions de personnes qui meurent chaque année à cause de l’alcool — plus que le sida, la tuberculose et la violence réunis ! Nous ne sommes pas près de voir une émission faisant la promotion de ces problèmes meurtriers au petit écran.
Qui ne connaît pas, dans son entourage, un proche ou un ami qui vit les impacts négatifs de la consommation d’alcool ? Arrêtons de banaliser un problème qui gangrène la société depuis belle lurette et qui reste trop souvent tabou.