La théologie, une faculté anachronique

Deux étudiantes en études du religieux déploraient dans Le Devoir du 23 janvier la fermeture annoncée de la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke. On peut bien sûr déplorer que les universités soient soumises à des compressions budgétaires de la part d’un gouvernement obsédé par le déficit et qui ne sait pas distinguer les dépenses et les investissements. Mais la critique de cette vision utilitariste ne doit pas servir à faire la promotion d’un discours anachronique sur le statut de la théologie au sein des universités québécoises.

En effet, les auteurs nous disent qu’une faculté est un pilier constitutif de l’université qui permet l’étude d’une discipline et de ses dérivés, son rayonnement académique et public. Ils confondent ici département et faculté et semblent ignorer que l’existence de facultés de théologie (auxquelles on a récemment ajouté les termes « études » ou « sciences des religions » pour faire moins anachronique) n’avait de sens que lorsque l’Église catholique contrôlait l’enseignement universitaire et séparait radicalement cette faculté de celle de philosophie et des autres sciences sociales de façon à en contrôler les enseignants et les enseignements.

Plus grave encore est leur affirmation que la théologie est « irréductible » aux sciences sociales, ce qui justifie son autonomie en tant que faculté. Or, s’il est un mouvement qui a marqué la fin du XIXe et le début du XXe siècle, c’est bien celui de l’historicisation du phénomène religieux et le rejet explicite de toute explication transcendante comme antiscientifique. La théologie étant « la science de Dieu », il est clair qu’elle présuppose son existence alors que du point de vue des sciences sociales, la croyance en Dieu est un phénomène historique et social comme les autres.

Rappelons seulement ici Alfred Loisy, grand historien français du catholicisme, prêtre excommunié par Rome en 1908, qui affirmait, en 1909, dans sa leçon inaugurale à la Chaire d’histoire des religions du Collège de France, que « la science des religions ne peut servir aucune théologie particulière, et les théologies particulières sont incompatibles avec la science des religions », car « elles imposeraient à celle-ci des conclusions qui souvent contrediraient ses résultats acquis, et toujours gêneraient le travail de ses recherches ». On ne peut donc plus confondre la dimension religieuse d’un fait social — qu’il faut en effet étudier à l’université — avec ce qui relève de la théologie qui, par définition, est dogmatique, ces facultés étant d’ailleurs canoniques, c’est-à-dire reconnues par Rome.

À cette confusion intellectuelle sur la nature du phénomène religieux dans nos sociétés s’ajoute finalement une sorte de désinformation, car les enseignements et les programmes sur les diverses religions n’ont pas besoin d’une faculté autonome pour exister. Il n’y a pas de faculté de physique, de chimie ou de sociologie, mais bien des départements qui font avancer les connaissances dans leurs disciplines. Le fait est que l’existence d’une « faculté de théologie » constitue un anachronisme au sein de nos universités, un vestige d’un passé clérical, et il est grand temps d’y mettre fin, même si cela doit se faire dans le déplorable contexte des restrictions budgétaires. Cela permettra de cesser de jouer sur les mots et d’étudier le phénomène religieux de façon rigoureuse et dans toutes ses dimensions (historique, sociologique, psychologique, etc.) et de laisser la théologie aux institutions religieuses et à leurs prêtres, révérends, imams et autres porte-parole des divers dieux qu’ils disent représenter.

La question de fond n’est donc pas ici « l’utilitarisme » ou les « vraies affaires », mais bien celle de la spécificité du discours théologique au sein d’une université laïque.

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