Prostitution: inconfortablement d’accord avec le gouvernement Harper

Au nom de quoi autant de personnes se braquent devant la loi C-36 et souhaitent légaliser la prostitution?
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Au nom de quoi autant de personnes se braquent devant la loi C-36 et souhaitent légaliser la prostitution?

Jamais je ne voterai pour les conservateurs, jamais je n’ai adhéré à une seule de leurs idées. Comme bien des féministes de gauche, je me trouve dans l’inconfortable situation de me réjouir d’un projet de loi provenant d’un gouvernement que je méprise. La loi C-36 reconnaît que la prostitution est une pratique érigée en système, contrôlé par une industrie violente, et amène l’idée que nous pouvons limiter sa portée et viser son affaiblissement.

Il est de bon ton chez plusieurs féministes et progressistes, courants auxquels je m’identifie, de défendre à tout prix l’idée de la prostitution, sous prétexte que nous avons gagné le droit de disposer de notre corps. Qu’en est-il du droit de vouloir une société dans laquelle on ne peut pas disposer d’un être humain comme bon nous semble sous prétexte qu’il y a échange d’argent ?

Pour la majorité des personnes prostituées, cette pratique n’est pas un choix, mais une absence de choix. Les victimes d’une industrie du sexe les forçant à en faire toujours plus, à répondre à des demandes de plus en plus violentes et qui, avec cette loi, verront leurs proxénètes perdre peu à peu de leur emprise.

La loi C-36 peut être vue comme un pas pour sortir les femmes du cercle de pauvreté qui les pousse vers la rue. Sortir de la prostitution est ardu : il faut expliquer le grand vide dans le CV et vivre avec la peur de tomber sur un ancien client, sur un proxénète. L’entrée en vigueur de C-36, rappelons-le, est accompagnée d’un montant, malheureusement trop maigre, de 20 millions sur cinq ans pour aider les femmes à se reconstruire, à retrouver leur dignité et à trouver un autre choix que celui de louer leur corps. Exigeons aussi du gouvernement que les casiers judiciaires des personnes qui se sont prostituées soient effacés, puisqu’elles ne sont pas les auteures d’un crime, mais bien souvent les victimes d’un système d’exploitation économique, sociale et patriarcale.

Nombre de gens disent craindre pour la sécurité des femmes qui se prostituent dans la rue, prétextant que la loi les condamnera à plus de clandestinité. Cela m’apparaît d’une naïveté déconcertante. La prostitution de rue ne se fait jamais au grand jour, les conditions de l’achat ne sont pas longuement négociées. Loi ou pas, la transaction se fait à la sauvette, souvent au détriment de celle qui a froid et faim et qui doit enfiler les clients pour combler ses besoins. L’idée de ne pas vouloir augmenter la clandestinité de l’achat est un réflexe empathique louable, mais c’est oublier que c’est une fois dans l’auto ou dans la chambre que le danger commence. Une sollicitation cachée ou ouverte n’y changera rien. Tant d’énergie déployée à vouloir améliorer les conditions d’un travail qui ne devrait pas en être un plutôt qu’à imaginer de nouvelles avenues pour ne pas avoir à l’exercer…

Certains rêvent même d’endroits où on installerait bien au chaud les personnes qui se prostituent. C’est encore une fois refuser de voir que la prostitution existe parce que nous avons décidé que l’argent peut tout acheter. C’est accepter l’idée qu’un humain peut disposer d’un autre après une transaction financière et c’est oublier que la prostitution, dans la grande majorité des cas, résulte d’un système de domination des hommes sur les femmes, d’une classe sociale aisée sur une classe plus démunie. Combien d’hommes se diront qu’au pire, ils n’auront qu’à se prostituer pour se sortir de la misère ? Très peu. Alors qu’une femme pourra toujours se rabattre sur cette option, car un système est prêt à l’accueillir, un salon de massage, un bar de danseuses, un réseau de prostitution, un coin de rue, etc.

Au nom de quoi autant de personnes se braquent devant la loi C-36 et souhaitent légaliser la prostitution ? Peut-être au nom de celles et ceux qui ont fait le choix d’offrir leurs services sexuels, qui gèrent leur clientèle et qui sont heureux ainsi. Ces personnes qui louent leur corps sans drogue ni pimp, ni violence, ni passé de sévices forment une minorité. À celles qui disent vouloir continuer à faire ce qu’elles appellent un métier, je dis, d’accord, mais pouvez-vous accepter l’idée que comme société, nous cherchions à réduire l’exploitation, le trafic et la marchandisation des femmes ? D’ailleurs, C-36 propose deux contextes dans lesquels la prostitution ne sera pas illégale (article 286.2).

J’espère que dans un futur pas trop lointain, nous regarderons la prostitution avec autant de gêne que lorsque nous pensons à l’esclavage, pratique qui a eu cours pendant des milliers d’années, pour laquelle des gens devaient sûrement crier haut et fort qu’on ne peut pas l’affaiblir puisqu’elle existe depuis toujours. Qu’ensemble, nous nous donnerons un monde dans lequel ni l’air, ni l’eau, ni un corps humain n’entrent dans une logique de marché.

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