Services de garde et milieux défavorisés: une situation complexe

Le débat sur la modulation des frais de garde en fonction du revenu familial a été l’occasion, pour plusieurs analystes et chroniqueurs, de faire le bilan du programme de places à contribution réduite qu’a fait adopter le Parti québécois en 1997.
L’une des critiques les plus courantes du système québécois est que les enfants issus d’un milieu défavorisé sont sous-représentés dans les services de garde subventionnés. Or, pour saisir l’étendue du problème et ses causes, il importe de présenter un portrait exact de la situation actuelle.
Dans une chronique parue samedi dernier dans La Presse, Alain Dubuc présente de façon erronée les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur la fréquentation des services de garde subventionnés. Il présente non pas le pourcentage des familles qui utilisent les services de garde subventionnés, mais le pourcentage des familles qui font garder leurs enfants, qu’importe le type de garde, y compris la garde par les grands-parents. Il surestime ainsi significativement les différences entre les différentes classes sociales quant à l’utilisation des places à contribution réduite, de même que le pourcentage des parents qui utilisent de telles places.
Les données de l’enquête réalisée en 2009 par l’ISQ sur l’utilisation, les besoins et les préférences des familles en matière de services de garde indiquent, dans les faits, que l’utilisation des places à contribution réduite est moins élevée au sein des familles qui ont un revenu familial de moins de 30 000 $. On constate également que l’utilisation des places subventionnées augmente en fonction du revenu familial, bien qu’elle diminue pour les familles qui ont un revenu de plus de 140 000 $.
Il y a donc des raisons de s’inquiéter de la trop faible fréquentation des services de garde par les enfants issus d’un milieu défavorisé. Comment expliquer cette plus faible fréquentation ? Après tout, les bénéficiaires de l’aide sociale peuvent envoyer gratuitement leur enfant en CPE pendant deux journées et demie par semaine.
Trois facteurs sont particulièrement importants. Le premier est le manque de places. Selon une autre étude de l’ISQ ayant porté sur 2009, les individus qui vivent dans des conditions matériellement et socialement défavorables sont plus susceptibles de mentionner le manque de places pour expliquer pourquoi ils ne font pas garder leur enfant. À Montréal, une étude du directeur de la santé publique publiée en 2011 a démontré d’ailleurs que le taux de places disponibles est moins élevé dans les secteurs les moins favorisés.
Horaires changeants et imprévus
Le deuxième facteur est le type d’emploi occupé par les ménages à faible revenu. Ceux-ci occupent davantage des emplois où les conditions de travail exacerbent le conflit travail-famille. Ces emplois généralement atypiques et précaires, souvent dans le secteur des services, ne leur permettent pas de connaître à l’avance leur horaire, ni le nombre d’heures travaillées. Ces seuls facteurs rendent la fréquentation d’un CPE beaucoup plus difficile, surtout pour les familles monoparentales. D’ailleurs, l’étude de l’ISQ démontre que les familles qui gagnent moins de 30 000 $ sont plus susceptibles d’affirmer qu’elles ont souvent ou très souvent de la difficulté avec l’organisation de la garde des enfants en raison de situations imprévues (11,4 % pour les familles qui gagnent moins de 20 000 $ et 12,3 % pour celles qui gagnent de 20 000 $ à 30 000 $, comparativement à 4,3 % pour les familles qui ont des revenus de plus de 100 000 $).
Le troisième facteur est culturel. Les personnes qui demeurent dans des quartiers défavorisés sont plus susceptibles de mentionner qu’elles souhaitent demeurer à la maison avec leur enfant. Jean-François René a montré dans ses travaux que certains bénéficiaires de l’aide sociale trouvent une grande valorisation dans le fait de garder leurs enfants avec eux. Plusieurs d’entre eux sont méfiants envers un État qui voudrait, selon eux, éduquer leurs enfants à leur place.
Il y a un problème d’accès aux services de garde subventionnés pour les enfants issus d’un milieu défavorisé. Il importe de développer, près de 20 ans après l’adoption du programme de garderies à tarif réduit, une stratégie qui assure une meilleure fréquentation des CPE par ces enfants et qui prend en considération les défis uniques des personnes à faible revenu. Malheureusement, bien que le gouvernement libéral ait utilisé l’absence d’universalité des services pour justifier sa proposition de modulation des tarifs, il semble pour l’instant avancer sans aucun plan quant à la façon de pallier certaines des failles du système québécois.
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