Cacouna, Rabaska, même combat
Je viens de terminer le visionnement d’un documentaire relatant la pénible aventure de simples citoyennes et citoyens qui ont tenté de se frayer un chemin parmi les obstacles posés par les puissants de notre temps. Dans La bataille de Rabaska, les réalisateurs Magnus Isacsson et Martin Duckworth suivent sur plusieurs années les activités de la coalition Rabat-Joie, un regroupement militant citoyen opposé dès 2004 à la construction d’un port méthanier à Lévis. La lutte acharnée qu’ils ont livrée au gouvernement Charest et aux promoteurs du projet aura finalement permis l’annulation du projet par le ministre Yves-François Blanchet, le 3 octobre 2013. Rabaska, Cacouna ; plus ça change, plus c’est pareil, comme dirait l’autre.
N’en déplaise à Éric Duhaime, ennemi juré des « enverdeurs », comme il se plaît à les appeler avec une condescendance toujours renouvelée, l’élite politique et économique du Québec n’a certainement pas fini d’entendre crier ceux et celles qui s’opposent au développement pétrolier et gazier. À tort, les apôtres de la croissance à tout prix et les lobbyistes de la pollution réduisent les revendications environnementales à de fausses prémisses. Nos décideurs martèlent constamment que les écolos s’opposent au développement économique ; par le fait même, ils sont donc « contre la création d’emplois ». Cela dénote une scandaleuse malhonnêteté ainsi qu’une paresse politique inouïe ; la transition écologique participe d’une vision à long terme qui garantira de meilleures conditions de vie à la collectivité. Peut-être faudrait-il apprendre aux libéraux et aux caquistes à voir plus loin que le prochain trimestre ? Comment les acteurs politiques peuvent-ils être à ce point tombés dans les profondeurs abyssales du populisme ? Sans doute parce qu’ils obéissent aux diktats de puissants groupes de pression exerçant une influence telle sur la sphère politique… cynique, me direz-vous.
Glenn Kelly, l’ex-porte-parole du consortium Rabaska, déplorait à l’époque la trop grande couverture médiatique offerte aux opposants. En réalité, il aurait préféré que la Cour supérieure accueille favorablement la demande d’injonction du Port de Québec qui aurait interdit aux groupes de la société civile tout commentaire sur le projet. La mauvaise nouvelle pour M. Kelly et ses amis du pétrole, c’est que l’espace public n’appartient pas exclusivement aux détenteurs de gros capitaux. D’ailleurs, qui peut encore soutenir que le combat se mène à armes égales ? Les dizaines d’hommes et de femmes qui s’organisent collectivement au quotidien, trop souvent au détriment de leur vie familiale et professionnelle, ont-ils vraiment le gros bout du bâton face à de gros noms cotés en Bourse ? C’est sans parler des normes législatives, qui trop souvent s’avèrent éminemment complaisantes à l’égard des minières, des gaziers et autres géants de l’industrie.
L’ombre du terminal de Cacouna planait déjà au-dessus du Bas-Saint-Laurent en 2004. Les risques environnementaux ne sont plus à prouver ; la gestion de ceux-ci représente un casse-tête beaucoup trop hasardeux. La triste histoire se répète : TransCanada s’obstine à multiplier les recours judiciaires dans le but de retarder la date d’audition de la requête en injonction permanente qui pourrait compromettre les forages de manière prolongée, ou du moins jusqu’à un éventuel pourvoi à la Cour d’appel. Cette instrumentalisation des tribunaux à des fins de musellement politique ne devrait plus être tolérée dans nos sociétés contemporaines.
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