Libre opinion - Prostitution: pense-t-on aux clientes?

La décision de la Cour suprême dans le cas Bedford rendu le 20 décembre a changé la vie de biens des travailleuses et travailleurs du sexe (TDS), y compris la mienne. Elle a rendu plus facile de parler de notre travail. Je n’ai pas à inventer un emploi fictif lorsqu’on me demande mon métier et je peux parler plus franchement de mes activités avec les professionnels de la santé. Le choix de cette nouvelle profession que je pratique est maintenant validé par le plus haut tribunal. Je me sens comme s’il m’avait dit : « Vas-y ; nous te protégeons, nous reconnaissons tes droits constitutionnels. »

 

Je suis un homme et je suis escorte pour femmes. La décision Bedford a non seulement validé mon travail, mais aussi les intérêts de mes clientes. Depuis cette décision historique, plus de clientes brisent le silence, leur anonymat, et mettent en jeu leur vie privée, curieuses et désireuses d’explorer leur sensualité, d’avoir de la compagnie ou simplement de passer un peu de temps en présence d’un homme. C’est mon travail.

 

Il n’est pas facile. Bien des hommes en rient et pensent que c’est un emploi de rêve. Cependant, comme mes consoeurs féminines le savent, c’est une profession victime des stéréotypes et ceux-ci ont un impact direct sur ma vie en société et ma situation financière. Par ailleurs, ces préjugés ont un impact plus grave sur mes clientes : elles courent le risque d’être ciblées et criminalisées sous certaines des options législatives, étiquetées comme « nordiques », actuellement envisagées au Canada.

 

Pensons un moment à ceux que nous criminalisons en ciblant les clients. Bien souvent, on s’imagine le client typique comme un homme. Cependant, lorsque l’on comprend que les femmes, comme les hommes, recherchent les services de prostitués, et ce, pour des raisons similaires — compagnie, intimité et plaisir —, on voit bien le danger. Ceux qui veulent criminaliser les clients pour protéger les femmes en général se trouvent donc à vouloir criminaliser certaines d’entre elles. Ce discours présente un paradoxe : protéger certaines femmes en en criminalisant d’autres. Qu’essayons-nous de faire en réprimant la prostitution ? Le modèle de la prohibition n’a jamais eu de succès, peu importe la sphère où il a été appliqué.

 

Les clients qui font appel aux services des TDS ne veulent pas simplement du sexe, mais aussi pour la compagnie, la conversation et l’intimité. Mes clientes recherchent également de la tendresse, de la chaleur humaine, voire de l’acceptation. Parfois, elles veulent de la complicité ou faire des activités qu’elles aiment avec quelqu’un qui partagera leur plaisir. Souvent, elles désirent parler, sans jugements ou reproches, de ce qui se passe dans leur vie, de ce qu’elles n’osent pas dire à ceux qui les entourent. En fait, il existe une foule de raisons pour voir un ou une escorte, et mes clientes ont des motifs qui leur sont propres.

 

La criminalisation de mes clientes m’effraie. Nous, les TDS, devrons travailler dans l’ombre. Cela augmentera les risques de violence et la précarité de nos conditions de travail, pour contacter nos clients alors que ceux-ci tenteront d’éviter les autorités, se soldant par beaucoup moins d’occasions financières pour nous. Selon un tel paradigme, nous ne serons jamais vraiment acceptés, nous continuerons de vivre et de travailler en marge de la société, avec nos droits, en tant que travailleurs et citoyens, bafoués.

 

La criminalisation des clients renforce la disparité entre les sexes et l’hégémonie du clivage des genres, de leur inégalité. D’une part, les hommes sont démonisés et décrits comme des agresseurs simplement parce qu’ils cherchent des services sexuels. D’autre part, nous n’avons que de la pitié ou du ridicule pour les femmes clientes.

 

La liberté sexuelle ne représente-t-elle pas un droit aussi fondamental que la liberté de conscience ? La Charte canadienne garantit à tous la possibilité de s’épanouir comme ils l’entendent. Les clients, autant hommes que femmes, méritent d’avoir la chance d’explorer leur sexualité et leur intimité sans craindre la loi.

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