Libre opinion - Les travailleuses du sexe se font montrer la porte
«Renforcer la solidarité féministe pour contrer les divers systèmes d’oppression » ? « Contrer les systèmes de valeurs et les pratiques qui produisent l’exclusion et la marginalisation des femmes » ? « Lutter contre toute forme de contrôle politique, social ou religieux du corps des femmes et défendre leur droit à l’autodétermination » ? Mais où sont les travailleuses du sexe et leurs revendications dans ce décor idyllique tracé dans le communiqué final des états généraux du féminisme ? Elles sont invisibles, tels des fantômes. Les fantômes du féminisme.
Pourtant, elles étaient bien là et ont participé, non sans difficulté, il faut le souligner, à ces états généraux dans leurs différentes phases. Résultat : on ne trouve nulle trace, dans les résolutions finales, de leurs voix et des efforts déployés pour se faire entendre à cette tribune. Pire encore : les résolutions les concernant vont dans le sens opposé à leurs demandes séculaires. Pas même une petite miette d’écoute et de solidarité. À part « un soutien pour celles voulant sortir de l’industrie du sexe ». Merci de cette bienveillance ! Et celles qui y demeurent ?
Pour elles, les états généraux leur ont réservé la criminalisation des « prostitueurs », sans aucun discernement entre clients et agresseurs, entre mesures de protection et actes de coercition. Tout le monde dans le même sac. Les états généraux du féminisme correspondent en réalité à une mise à la porte des travailleuses du sexe avec leurs demandes, sans autres ménagements.
Ce n’est donc pas du côté du mouvement féministe québécois, enfin celui qui s’est exprimé aux états généraux du féminisme, que les travailleuses du sexe trouveront appui et solidarité. Au contraire : avec les résolutions proposées, les travailleuses du sexe devront continuer à travailler en danger, dans la clandestinité, la marginalité et la stigmatisation, en dehors de la protection des lois générales qui gouvernent les autres êtres humains. Et dans une clandestinité pire encore que le statu quo existant puisqu’on entend faire pression, dans les années qui viennent, pour criminaliser davantage les acteurs qui entrent en communication avec elles dans leur travail, avec tous les risques sociosanitaires inhérents à une clandestinité aggravée. Tout cela au nom du féminisme !
On peut donc conclure de ces états généraux du féminisme que la lutte des travailleuses (et travailleurs aussi) du sexe pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail devra se faire à contre-courant du féminisme dominant, et malgré lui. Véritable « rocher de Sisyphe des travailleuses du sexe », comme l’une d’elles a déjà qualifié l’abolitionnisme (ConStellation, vol. 8, no 1, 2003, p. 3.), ce courant « extrême » du féminisme, qui s’est vu officialisé en fin de semaine aux états généraux, constitue un rejet pur et simple de leur expérience, de leur parole et du soutien du féminisme à leurs luttes. Quelle tristesse ! Quel rétrécissement du féminisme !
Maria Nengeh Mensah - Porte-parole de l’Alliance féministe solidaire et professeure à l’École de travail social de l’UQAM