Libre opinion - Où s’en vont les caisses populaires?
Depuis plus de 20 ans, la notion d’efficacité est remise en question dans un grand nombre d’organisations économiques au profit de visions plus intelligentes comme l’effectivité et surtout l’efficience.
L’efficacité est la recherche du rendement maximum à court terme avec le minimum de ressources. L’effectivité mesure le niveau de satisfaction à moyen terme du personnel en fonction des résultats atteints. Enfin, l’efficience tient compte à long terme de la satisfaction des clients et du bien-être du personnel tout en étant économe des ressources requises. L’efficience s’appuie ainsi sur des mesures tant qualitatives que quantitatives. Une de ses applications est la norme internationale ISO 26 000 qui mesure le niveau de responsabilité sociale envers les acheteurs, les ressources humaines engagées et le développement durable.
Une bonne partie des PME ont depuis longtemps compris cela pour se distinguer de la plupart des grandes entreprises dont le seul objectif est le profit. C‘est ce qui explique, par exemple, la multiplication des petites boulangeries et brasseries, mais aussi une foule de petits commerces dont les prix plus élevés sont largement compensés par la qualité du produit et par une empathie envers les clients. Ce qui implique la participation du personnel pour créer des liens particuliers avec ces derniers.
Bref, en plus de la taille, la proximité avec la clientèle, la flexibilité dans le produit et l’encastrement dans le milieu sont les trois caractéristiques qui distinguent le plus les PME des grandes entreprises.
L’esprit qui se perd
Or, selon l’esprit d’origine bien défini par Alphonse Desjardins, les Caisses populaires sont en quelque sorte des PME. En tant que coopératives, elles appartiennent à leurs membres tout en faisant partie de fédérations, elles-mêmes réunies dans la grande confédération de Lévis, pour mieux coordonner leurs forces comme le font les grands groupements d’achats. Elles sont établies dans chaque quartier et chaque village pour justement s’adapter à chaque marché selon sa démographie et sa sociologie. Les ristournes et certains services spécialisés favorisés par cette union ne sont que deux éléments parmi d’autres pour retenir cette clientèle afin qu’elle ne se tourne pas vers les banques capitalistes.
Malheureusement, cet esprit et ces comportements de proximité des Caisses populaires sont en train de se perdre à mesure qu’elles sont dirigées par des financiers ne comprenant plus l’esprit coopératif et pensant de plus en plus comme des banquiers tournés vers la seule productivité.
Par exemple, depuis quelques années dans plusieurs régions, on a réuni les caisses pour diminuer les coûts et offrir plus de services. Puis on a commencé à fermer des comptoirs pourtant rentables, comme on l’a annoncé à Bécancour en réunissant trois points de service en dehors des villages d’accueil, ce qui veut dire de moins en moins d’égards pour le personnel et les clients, notamment ceux qui vont à la caisse à pied ou à vélo tout en ne recourant pas à l’électronique pour leurs transactions.
De même, dans beaucoup de caisses, on exige maintenant de prendre un coupon précisant le service attendu même quand vous êtes le seul client, comme si la communication directe avec le caissier était de moins en moins nécessaire.
Rappelons que c’est ce calcul d’efficacité de court terme dans le monde financier qui est à la source de la pire crise économique de l’après-guerre, crise qui n’en finit pas de faire des siennes, avec des millions de chômeurs et l’effondrement des budgets des États. Une étude récente expliquait qu’on trouvait derrière les comportements des financiers le plus haut taux de consommation de cocaïne chez les professionnels, pour compenser le stress lié à la recherche perpétuelle des plus hauts rendements possibles.
D’ailleurs, on peut faire le lien entre cette recherche d’efficacité à tout prix et le salaire indécent de la présidente des Caisses : trois millions de dollars, soit environ 15 000 $ par jour de travail. Comment fait-on pour dépenser ainsi 75 000 $ chaque semaine, somme qui représente plus d’une fois et demie le salaire annuel moyen de 70 % de la population québécoise ? Si les salaires des autres dirigeants de grandes banques sont encore plus élevés, soit quinze ou vingt fois plus que celui de nos chefs d’État, cela n’en diminue pas moins l’aspect scandaleux.
À voir dans l’organisation coopérative qu’il a créée cette bureaucratie galopante et cette recherche de l’efficacité sans âme, Alphonse Desjardins doit se retourner de plus en plus souvent dans sa tombe, n’est-ce pas ?