Libre opinion - Bangladesh, je me souviens?

En 2005, l’usine Spectrum s’est effondrée au Bangladesh faisant 64 morts et plus de 80 blessés. Les victimes étaient des travailleuses et travailleurs du textile, engagés par des sous-traitants locaux de multinationales dans le domaine du vêtement. Dans le même pays, un incendie à l’usine de Tazreen a tué 112 personnes en novembre 2012. Et tout dernièrement, ce fut le tour du Rana Plaza de s’effondrer, faisant plus de 600 morts et 1200 blessés. Manque de législation dans le pays diront certains ? Plutôt un mal-développement. Afin de subvenir aux besoins de multinationales de marque, le pays a misé fort sur l’industrie du textile, qui est aujourd’hui la source de trois quarts des exportations.

En 2005, lors de la tragédie du Spectrum, tout le milieu de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) avait été mis en alerte. Une vaste réflexion avait eu lieu afin de remédier à de telles situations catastrophiques. Des projets-pilotes avaient été développés, notamment par Ethical Trading Initiative (ETI), organisme international de vérification des conditions de travail dans les industries du Sud et par l’Organisation internationale du travail (OIT).

Pourtant, les années 2000 avaient donné espoir aux praticiens de la RSE. De nombreuses organisations de certification et de vérification étaient mises en place (Fair Labor Association-FLA; Worker Rights Consortium-WRC; Social Accountability 8000 et Fair Wear Foundation), formées de syndicats, d’entreprises, d’ONG, de groupes d’étudiants, de travailleuses et travailleurs et même de représentants de l’État. L’important était que les multinationales répondent à l’appel en devenant membres et en mettant en application les normes suggérées. Ainsi, on se souviendra de la « success story » de Gildan qui, grâce à la collaboration avec la FLA et le WRC de 2001 à 2006, était revenue sur sa décision de délocaliser ses installations au Honduras et avait dédommagé les travailleuses et travailleurs.
 
Engagement des entreprises

Or, presque trente ans après le début de la RSE, peut-on affirmer que les principaux intéressés dans les industries du Sud ont pu bénéficier de tout ce développement de la RSE ? La catastrophe du Rana Plaza nous confirme que non. Le problème majeur réside dans le type d’engagement des entreprises. La plupart d’entre elles préfèrent opter pour l’autorégulation ou la régulation de leurs activités avec des pairs (autres entreprises). Même des outils internationaux comme la Global Reporting Initiative, le Pacte mondial de l’ONU et, plus récemment, ISO 26 000 sont trop peu engageants à cause de leurs normes volontaires. La meilleure option reste encore la « corégulation », avec des organismes internationaux de vérification et de certification où toutes les parties prenantes participent aux processus.

Ainsi, sans vouloir négliger les initiatives privées développées par certaines entreprises au lendemain de l’effondrement du Rana Plaza, ces efforts sont souvent perçus comme des actes d’opportunisme servant à faire mousser le capital politique des entreprises. En réalité, ces initiatives peuvent prendre fin quand les entreprises le déterminent. Si ces dernières qui sous-traitent au Sud veulent réellement être prises au sérieux dans leur volonté de se responsabiliser socialement, elles doivent absolument s’engager avec des organismes multipartites qui les obligeront à long terme à respecter les engagements internationaux en matière de droits de la personne et de droits du travail.


Marie-Noëlle Roy - Anthropologue, coordonnatrice de la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM-CISO) de 2006 à 2011, étudiante en droit à l’UQAM

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