Libre opinion - De leur côté du rideau

Je regarde les nouvelles, et tout ce que je vois est des images du Sommet sur l’enseignement supérieur. Ça me fait tout drôle de pouvoir me dire « j’y étais ».


Durant ces deux derniers jours, j’ai habité cette grande salle. Certes, à titre d’observatrice, mais j’aurai quand même eu la chance d’avoir Pauline Marois, Pierre Duchesne, Martine Desjardins, Guy Breton et tout ce tralala de gens importants assis à quelques mètres de moi.


J’avais hâte à ce Sommet. Parce qu’il y a un peu moins d’un an, j’animais à l’Université de Montréal le plus grand mouvement de grève de l’histoire qu’ont connu les facultés de médecine du Québec. J’ai été porte-parole et coauteure d’un livre appelant à un éveil citoyen. J’ai milité, je suis descendue dans les rues, j’ai crié jusqu’à en perdre la voix, j’ai débattu, je suis allée voter, j’ai suivi religieusement l’actualité politique, j’ai écrit dans les journaux, je me suis engagée. Cette cause était profondément ancrée en moi, j’étais sincèrement passionnée. Et j’essaie, encore aujourd’hui, de faire tout ça.


Ce Sommet m’intriguait et je refusais de croire, peut-être un peu naïvement, que les dés étaient pipés. J’avais hâte de pouvoir suivre les discussions, de voir les enjeux cruciaux remis au coeur des débats, de pouvoir parler ouvertement de gratuité scolaire sans obtenir simplement comme réponse que c’est impossible. J’avais hâte de rêver d’une vision commune sur l’éducation supérieure au Québec. Mais rien de tout ça n’est arrivé.


À la place, entre les sachets de thé Kusmi, la mousse choco-framboise dans les petits pots Mason et les olives marinées, les discussions étaient anormalement calmes. Beaucoup de consensus trop faciles sur un sujet aussi important. Des grandes phrases remplies de mots compliqués qui nous laissent sur notre faim. Des propos un peu déroutants du Conseil du patronat, de Legault et de la CREPUQ - rien d’étonnant. Peu de temps pour analyser en profondeur les questions de financement et d’accessibilité. Un gouvernement serein et confiant, parlant de réformes majeures, de prospérité, d’avenir. Des gens habillés chic qui, du haut de leurs tours d’ivoire, ont oublié ce que c’était d’être étudiant ou étudiante.


Des techniciens de l’Arsenal me disaient que monter la salle allait avoir pris plus de temps que le Sommet lui-même. Un photographe de QMI me disait qu’il ne voulait pas devoir couvrir la manifestation du 25 février au soir, de peur d’être poivré et tabassé par les policiers. Un chauffeur de taxi soutenait qu’au Liban, les études en pharmacie coûtent 25 000 $ par année, et qu’au Québec, on ne pouvait pas penser à la gratuité. Un manifestant a braqué son iPhone en mode vidéo sur moi à ma sortie du Sommet, me lançant du même coup un regard de feu, comme si je devais avoir honte de m’être assise dans cette salle.


Je suis encore extrêmement perplexe par rapport aux conclusions de ce Sommet. J’ai encore beaucoup trop de choses qui me trottent dans la tête. J’ai hâte de voir comment les médias et réseaux sociaux vont dépeindre l’évènement dans quelques jours, quelques semaines. Tout ce que je me retrouve à dire en ce moment, c’est « j’y étais ».


Déjà, les étudiants sont de retour dans les rues et la police est prête à toute offensive. J’ai encore des frissons par rapport à ce que nous avons réussi à faire au printemps dernier, et j’ai le goût qu’on se dise : poussons encore plus loin, portons notre voix franche de nos convictions au plus haut des tribunes, ne renonçons pas à notre espoir de voir une éducation supérieure accessible à tous. Ne laissons surtout pas cette réflexion s’effriter.


De leur côté du rideau, la rage et la passion étudiante me manquaient.

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Claudel P-Desrosiers - Étudiante en médecine, Université de Montréal, Coauteure du livre Pour un printemps. Livre citoyen

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