Libre opinion - Gentilly-2 : remettre les pendules à l’heure
Depuis plus de deux semaines, plusieurs politiciens de la région trifluvienne lancent toutes sortes de chiffres à propos de la fermeture de Gentilly-2, à côté du parc industriel et portuaire de Bécancour, dont la plupart relèvent de l’invention pure, sinon de la volonté de tromper le public en vue d’une éventuelle campagne électorale dans moins de 18 mois.
Précisons d’abord que les coûts de la reconstruction présentés la semaine passée par le p.-d.g. d’Hydro-Québec ne pouvaient qu’être connus du gouvernement précédent. À moins de penser que le premier ministre Charest ait accepté la suspension de travaux depuis près d’un an de façon complètement irréfléchie. Sans compter que si ces coûts demeuraient acceptables, il aurait annoncé la reprise prochaine des travaux durant la récente campagne électorale pour gagner des points. Penser autrement serait considérer ce gouvernement comme incompétent, incapable de demander et d’analyser les chiffres justifiant cette suspension.
Passons maintenant à la question des emplois perdus. Dire que tous les employés actuels de la centrale seront prochainement mis à pied, c’est croire qu’une usine nucléaire peut être abandonnée sans protection et qu’aucun employé n’est protégé par le syndicat d’Hydro-Québec. Et si les deux centrales peuvent servir à apprendre comment déclasser ce type d’investissement, notamment avec Gentilly-1 qui est fermée depuis plus de 35 ans, il est même probable que les emplois augmenteront.
Rappelons d’ailleurs que sur les 4,2 milliards que nous aurait coûtés la poursuite de la reconstruction de Gentilly-2, moins de 500 millions revenaient à l’économie québécoise. Il aurait donc fallu demander à tous les citoyens s’ils étaient toujours d’accord pour financer les emplois américains, puisque le gros de ce type de dépenses va aux équipements et à l’uranium transformé et importé des États-Unis.
Quant aux emplois qui pourraient être créés avec les 200 millions de dollars promis par le gouvernement actuel, si l’on retient effectivement un coût de 1 million par emploi dans la grande entreprise manufacturière privée, il faut aussi comprendre que l’État n’y participe qu’à hauteur maximum de 40 %, ce qui donne non pas 200, mais bien 500 emplois directs.
Mais si l’objectif est de diversifier l’économie régionale et de diminuer sa dépendance envers les investissements étrangers, comme le font très bien de nombreuses régions comme le Centre-du-Québec, la Beauce, le Bas-Saint-Laurent, et même la région proche de Shawinigan qui a vu fermer à peu près toutes ses grandes entreprises ces 30 dernières années, il faut se tourner vers les PME.
Or nos études à l’OCDE montrent qu’il en coûte environ 150 000 $ par emploi dans l’industrie manufacturière (2000 $ dans l’industrie des services). Avec 40 % en subventions et des coûts d’administration de 10 %, cela donne un potentiel de 3000 emplois directs. Si l’on ajoute 1,8 emploi indirect, on peut prévoir au total 8400 emplois.
On pourrait continuer ainsi. Ce qui étonne dans cette tempête arrangée, c’est soit l’incapacité de trop de dirigeants de la région à sortir de l’idée traditionnelle que les citoyens de la région seraient incapables d’assurer leur développement, soit la mauvaise foi. Le vieux dicton ne dit-il pas qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ?
***
Pierre-André Julien - Économiste à l’Institut de recherche sur les PME