Libre opinion - Hélène Pedneault et le Jour de la Terre
Hélène Pedneault aurait eu 60 ans, le 14 avril de cette année. Le jour de son 60e anniversaire, Hélène aurait sans doute pris son premier café sur le bord de son cher lac Saint-Sébastien, à Saint-Zénon, et elle aurait réfléchi.
Dans son livre Les carnets du lac, paru en 2000, Hélène regrettait amèrement qu'il lui manque toujours 20 % d'eau pour être un lac. Un lac ne parle peut-être pas, mais il réfléchit, écrivait-elle. Et Hélène aimait les gens qui réfléchissaient, les lacs aussi.Alors, le jour de son anniversaire, Hélène et son lac auraient réfléchi. On a beaucoup parlé de la parole d'Hélène. Incisive, percutante, déstabilisante, une parole faite d'une ribambelle de mots pleins de bon sens, qu'elle maniait avec art et qu'elle assénait avec force, d'une voix tonitruante.
On a beaucoup moins parlé de son écoute. Hélène était une femme qui parlait, haut et fort, mais c'était d'abord une femme qui savait écouter.
De ses grands yeux ronds, brillants d'intelligence, Hélène scrutait passionnément son interlocuteur, écoutait intensément, notait tout sur des «post-its» jaunes et s'en allait réfléchir à tout cela près de son lac avec lequel elle engageait des dialogues enflammés.
Le jour de ses 60 ans, si elle avait été là, Hélène aurait réfléchi à comment elle marquerait le coup pour ajouter son empreinte d'humaine à celle des femmes et des hommes qui marcheront le 22 avril prochain.
Elle aurait commis un texte sans doute. Elle aurait aussi rameuté ses troupes en les inondant de courriels qui auraient enjoint à chacun de ses amis d'y être, sans faute, aurait-elle pris soin de préciser.
Hélène était une femme profondément engagée et tout aussi profondément inquiète. Inquiète quant à l'issue des multiples causes qu'elle avait embrassées: l'eau, les femmes, le pays, la langue, l'environnement. La sérénité n'était pas sa tasse de thé. Elle craignait le désengagement, le désabusement, la lassitude.
Tout ce qui s'est passé dans le monde et au Québec, ces dernières années, l'aurait tout à la fois angoissée et rassurée. Manifestement, n'aurait-elle pu s'empêcher d'observer, des groupes d'humains avec lesquels elle a fait corps toute sa vie, surgissent toujours des réflexes et des aspirations d'humains: un peu plus de bonheur, de justice, de solidarité, d'équité, de vert et de bleu et le besoin de se rassembler pour les revendiquer.
Le 22 avril prochain, ma fille, mes petites-filles et moi, nous irons marcher. Parce que la Terre est notre planète et qu'elle nous est chère, parce que les humains avec qui nous la partageons ne le sont pas moins, nous marcherons.
Nous penserons à Hélène ce jour-là, à l'empreinte qu'elle a laissée sur la Terre et dans nos vies. Ce n'est pas rien tout de même que de nous avoir fait prendre conscience que ce n'est qu'un tout petit 20 % d'eau qui sépare les humains des océans, des lacs et des rivières. Ça solidarise de savoir qu'à cette nuance près, on fait tous partie de la même famille. Et comme on a tout intérêt à protéger sa famille, nous marcherons à la mémoire d'Hélène, pour le bien de la famille et pour la suite du genre humain.
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Nicole Boudreau, Montréal
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