Libre opinion - Sit fasil a lir e a konprandr

«Akey. Ékrivé nou. Koman fêr?» Nous voilà dans le volet «Accès simple» du site Internet de la Ville de Montréal. Et le reste est à l'avenant, du «Mo du Maire» jusqu'à la rubrique «Kolêct dê déchê», que je vous invite à lire.

«Kolêct dê déchê. Pour konêtr lê z'orêr de kolêkt dê déchê dan votr kartié: tétéfoné o poin de sêrvis de votr arondiseman ou demandé a un vouazin.

Bak de rékupérasion. La rékupérasion se fê une foua par semêne. La rékupérasion s'ê pour le papié, le karton, le ver, le métal, le plastik. [...] Sêrtin bak on t'une pouagné. Il son donk plus fasil a utilizé.» Bon. J'arrête.

Pourquoi ce site? L'ensemble a été mis sur pied à suite du Sommet de Montréal, en juin 2002, lors duquel la Ville de Montréal s'est engagée à souscrire au principe d'accessibilité pour les personnes ayant des déficiences. La première évidence qui saute aux yeux est donc que je suis très en retard dans les nouvelles. N'eût été — comment aurait-on réécrit? — le courriel d'un jeune collègue et ami, je n'aurais jamais été au courant, j'imagine. En prime, on a même droit à la genèse de ce travail que la Ville qualifie d'avant-gardiste et dont elle se dit très fière. «La première municipalité au monde...»

Mettant de l'avant trois façons d'accéder à l'information pour les citoyens ayant des besoins particuliers, c'est-à-dire le texte simplifié, «l'ortograf altêrnativ» et le son, le site est né de la collaboration de comités, d'associations et de regroupements voués à la défense de personnes sujettes à être exclues du monde de l'information. On s'est aussi basé sur les règles et directives proposées dans le guide Le savoir-simplifier, produit par le ILSMH Association européenne, le tout supervisé par le Groupe DÉFI apprentissage de l'Université de Montréal, question d'asseoir sa crédibilité.

Bien sûr, dans les prochains jours, j'imagine la scène: je croulerai sous les reproches, quolibets, justifications et études de la Ville et de cette équipe de recherche affiliée au Département de psychopédagogie et d'andragogie, de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal. Mais il reste que, comme il fallait s'y attendre, le mariage de la Ville de Montréal — et son inefficacité légendaire — et de certains zélateurs des sciences de l'éducation — avec leur jargon à la mesure de leurs abracadabrantes théories — ne pouvait qu'engendrer un rejeton au physique ingrat et difforme.

Comme on veut simplifier à outrance, je dis qu'on tombe ici dans une approche à la fois inutile et méprisante. D'abord, je refuse de croire que «Vou devé pêyé le pri d'antré régulié lorske vou partisipé a dê z'aktivité» est plus accessible que la forme habituelle. Songez seulement à l'usage de l'accent circonflexe. Et puis, quand on y pense, comme cette prétendue simplification reflète la prétention de ces docteurs en éducation (j'en suis moi-même et ai longtemps côtoyé certains d'entre eux) incapables d'omettre la liaison dans «dê z'aktivité».

Qu'on me comprenne bien: la question n'est pas d'ignorer les plus faibles. Avec un taux d'analphabètes fonctionnels se rapprochant petit à petit des 50 % au Québec, il me semble important de penser à ces gens pour leur faciliter l'accès à l'information. Mais ce n'est pas en infantilisant les approches et tout ce qu'ils sont susceptibles de regarder que nous allons les aider vraiment. Un peu de gros bon sens sied dans ce cas, ingrédient qui fait parfois défaut à la Ville et sur une montagne où l'oxygène se fait parfois rare.

Depuis des années que j'écris à mes vieux amis de Saint-Alexis-des-Monts qui savent à peine lire, je choisis les mots qui conviennent et des tournures de phrases adéquates pour les rejoindre sans qu'il y ait eu de problèmes. «Ne pas savoir lire, c'est comme être aveugle, m'avait dit un jour monsieur Lambert, mais tu sais trouver les bons mots.» De plus, il faut saisir toutes les occasions pour leur apprendre, mine de rien, dans toutes circonstances, un peu comme je tente toujours de le faire avec les élèves les plus faibles qui nous arrivent au collège en sachant à peine lire et écrire.

«Les mots sont comme des verres qui obscurcissent tout ce qu'ils n'aident pas à mieux voir», disait avec à-propos Joseph Joubert. Encore faut-il s'en procurer une paire véritable. Mais peut-être ce mouvement n'en est-il qu'à ses débuts. Pourquoi ne pas tripoter les oeuvres de Fauré pour les malentendants, par exemple? Ou assagir les tableaux de Picasso pour les néophytes de l'art? Ah! misère... Je dois vieillir. Et ne me dites pas que l'orthographe française est illogique: je le sais. Comme je sais que je n'ai pourtant rien d'un ayatollah de la langue.

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Serge Provencher - Saint-Jérôme

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