Libre opinion - Quand le torchon brûle...

Je me désole. Les bureaux de Charlie Hebdo ont flambé parce qu'il s'apprêtait à publier une caricature de Mahomet dans un numéro spécial intitulé Charia Hebdo. Ils sont nombreux les musulmans à s'indigner du manque de respect que représente une telle caricature et à cautionner ainsi, par la bande, ce genre de geste; et ils sont nombreux les bien-pensants défenseurs du droit à s'offusquer de ce geste, à décrier sa violence et son caractère non démocratique, son non-respect de la liberté de presse et d'opinion, etc.

Qu'il me soit permis ici non pas de justifier cet acte, mais au moins de tenter de le comprendre, de l'inscrire dans une problématique plus large.

Nous avons appris la semaine dernière que le gouvernement conservateur du Canada envisageait fortement de renier sa promesse de rapatrier Omar Khadr, et nous avons appris en même temps non seulement que le Canada refusait l'admission de la Palestine à l'UNESCO, mais qu'il allait en plus se livrer à des pressions de type non démocratique pour forcer l'UNESCO à tenir la Palestine hors de son institution.

Et encore, dans les nombreuses injustices subies par les arabo-musulmans, ce ne sont là que les faits les plus canadiens et les plus récents. Depuis plus d'un siècle, les actes d'intimidation, de spoliation, de violence qu'ont subis ces peuples des mains des puissances occidentales, «démocratiques et de droit», sont nombreux... Beaucoup trop nombreux pour qu'on les recense ici.

Comment ne pas comprendre le ressentiment et la colère qui «brûlent» les âmes dans ces circonstances? «Mais, diront certains, brûler un journal, ce n'est pas démocratique les amis! Si vous êtes frustrés, il y a des lieux pour s'exprimer, servez-vous-en!»

Pardon? Où ça un espace de parole, où ça une démocratie? J'invite le lecteur occidental à sortir un peu de sa réalité, quelques minutes seulement, pour se demander s'il y a vraiment une démocratie au niveau international? Quelqu'un peut-il me nommer une institution internationale véritablement démocratique? Une institution comme l'ONU, seule institution internationale ayant véritablement du pouvoir, n'est absolument pas démocratique: certains pays ont des droits de veto, et cette organisation est soumise à son mode de financement, autrement dit à ses bailleurs de fonds (lire les pays riches). Si cette institution était véritablement démocratique, il y aurait longtemps que la Palestine serait un membre à part entière de la communauté internationale.

En acceptant la Palestine comme membre de l'UNESCO, une décision démocratique vient d'être rendue. En refusant cette décision et en exerçant des pressions économiques et non démocratiques, le Canada vient de montrer son dédain pour les règles démocratiques et pour les aspirations légitimes de certains peuples. Frères et soeurs arabes et musulmans, je m'en désole autant que vous.

On parle aussi de droit, d'État de droit. «Brûler un journal ce n'est pas très "droit"», dit-on. Le Canada se fait — du moins au simple niveau du discours — le défenseur d'un État de droit. Or, un État est de droit précisément quand il traite dans, par et pour le droit ceux qui ne respectent pas ce droit. Depuis l'affaire Khadr, le Canada agit envers les cours canadiennes et internationales et ne fait plus partie des États de droit. C'est une réalité avec laquelle les Canadiens devront apprendre à vivre... Frères et soeurs arabes et musulmans, je m'en désole autant que vous.

Quand on se sent faible, seul, rejeté, non écouté, nié, la colère transpire souvent de nos actions. Quand on parle et que l'autre se détourne, la colère refait surface. Nous, occidentaux, qui ne sommes finalement ni très démocratiques ni très «de droit», nous qui bafouons allègrement et régulièrement ces principes; nous, Canadiens, qui travaillons très fort en ce moment pour préserver les structures inégalitaires du monde, nous qui n'écoutons pas ou bien peu les voix du monde arabo-musulman, nous qui incendions le monde, comment pouvons-nous nous surprendre qu'un journal brûle?

Et à tous ceux qui ne verront pas de lien entre un journal qui brûle, Omar Khadr et la Palestine, je répondrai qu'il leur manque peut-être un peu de cette capitale conscience de ce qu'est l'âme humaine. Comment peut-on parler d'intégrisme quand nous manquons tellement... d'intégrité?

La position canadienne, la mienne, la nôtre, est extrêmement violente. La cravate, le costume, les titres honorifiques, le ton posé et diplomatique ne changent rien au fond de l'affaire. Nous, puisque ce gouvernement est le nôtre, dans notre négation de l'Autre, agissons comme des pyromanes.

Quand on parle et que l'autre se tait, quand on nomme et que l'autre se détourne, quand on argumente et que l'autre tergiverse, quand on demande et que l'autre refuse, naît peut-être le goût de mettre le feu...

Frères et soeurs arabes et musulmans, je m'en désole autant que vous.

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Félix Jolicoeur - Montréal

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