Libre opinion - Je persiste et signe !
Selon le professeur Donald Fyson, dont le commentaire fut publié en cette tribune la semaine dernière, notre étude «L'histoire nationale négligée», commandée par la Fondation Lionel-Groulx, rendue publique le 3 octobre dernier, ne serait pas «un reflet objectif de l'état de l'histoire nationale dans nos universités québécoises». Ne s'appuyant que sur son propre cas, mon collègue s'empresse de qualifier la vision qui traverse cette étude de «polémiste».
Or, je persiste et signe! Nous ne prétendons pas que l'histoire nationale du Québec est disparue, mais qu'elle est bel et bien «négligée» par les professeurs, malgré l'intérêt persistant des étudiants. Je sais bien que mon estimé collègue a produit des articles sur des aspects politiques de la Conquête, mais je continue de croire que, dans l'ensemble, «les historiens universitaires intéressés par la question politico-nationale au point d'y consacrer des monographies ou des articles sont davantage l'exception que la règle».Les lecteurs du Devoir qui en doutent pourront consulter, à la page 23, la liste des chaires du Canada octroyées à des historiens du Québec. Ils pourront aussi consulter les pages 25 et 26 de notre étude qui dresse la liste des thèmes de recherche sur lesquels travaillent actuellement les professeurs d'histoire d'un grand département montréalais. Ils trouveront là des données bien «objectives»!
Mais si l'histoire nationale du Québec se porte bien, peut-il m'expliquer pourquoi il faut lire David Hackett Fischer ou Jonathan R. Dull, deux professeurs américains, pour obtenir les synthèses académiques les plus à jour sur Champlain ou la guerre de Sept Ans? Peut-il m'expliquer pourquoi il faut aller à McGill ou à Bishop pour trouver des spécialistes reconnus des rébellions de 1837-1838?
Si l'histoire nationale du Québec se porte si bien, peut-il m'expliquer aussi pourquoi on ne trouve, dans nos départements d'histoire francophones, aucun spécialiste de l'histoire constitutionnelle qui aurait publié des ouvrages significatifs sur la Confédération de 1867 ou le rapatriement constitutionnel de 1982? Pourquoi, non plus, ne trouvons-nous aucun spécialiste reconnu de l'histoire militaire ou diplomatique du Québec ou du Canada dans nos départements?
Peut-il enfin m'expliquer pourquoi, même si je sais le genre regardé de haut par mes collègues, les dernières grandes biographies de Louis-Joseph Papineau, d'Honoré Mercier ou d'Henri Bourassa ont été écrites par Robert Rumilly? Pourquoi les Jean Lesage, René Lévesque ou Pierre Elliott Trudeau n'ont-ils intéressé sérieusement aucun historien québécois?
Pour expliquer cette négligence de l'histoire nationale, nous avons proposé un cadre d'analyse que rejette mon collègue. Fort bien! Mais les données de base restent les mêmes. Il est vrai que l'histoire nationale pour laquelle nous plaidons est probablement plus traditionnelle que l'histoire culturelle dernier cri à laquelle, faut-il le préciser, mes collègues ont parfaitement le droit de se consacrer. Cela dit, cette histoire politico-nationale devrait aussi avoir sa place à l'université.
Comme nous ne voyons pas le jour où cette histoire aura une vraie place dans nos départements et que nous sommes attachés au principe d'autonomie universitaire, nous avons de bonne foi proposé de contourner le problème en créant une 5e section à l'Institut national de recherche scientifique qui serait spécifiquement consacrée à l'histoire politique du phénomène national au Québec.
Cette proposition, nous nous en réjouissons, a été reprise la semaine dernière par le Parti québécois et Québec solidaire. S'il y a d'autres moyens constructifs de remédier à cette négligence de notre histoire nationale, nous restons bien sûr ouverts.
Éric Bédard - Historien et professeur à la TELUQ