Libre opinion - Les vraies inquiétudes
Que les membres des familles venues des quatre coins de l'horizon parlent leur langue autour de la table de cuisine, je n'y vois aucune menace à la langue officielle et commune. Il m'apparaît même intéressant que leurs richesses culturelles et linguistiques diverses soient conservées. Encore faut-il souhaiter que la «soucoupe» des ondes leur permette de faire entrer aussi dans leur intimité certains échos de ce qui se passe ici, à Montréal et au Québec.
Ce qui m'inquiète vraiment, c'est la béate satisfaction de l'Office québécois de la langue française et de la ministre responsable qui manifestent un enthousiasme douteux devant le fait que 5 % des allophones (et des anglophones?) parlent le français sur le trottoir, au magasin ou avec les voisins locuteurs d'une autre langue que la leur. Après plus de 40 ans de loi 101, on ne peut quand même pas crier victoire quand, en dehors de leur foyer, les Montréalais (y compris sur les rives nord et sud) issus de l'immigration s'expriment et communiquent à un si faible pourcentage dans la langue de Molière et de Leclerc.Ce qui m'inquiète aussi, c'est le silence résigné de trop de personnes et de groupes qui semblent ne pas voir les conséquences sociales importantes issues de ce phénomène rarissime qui fait qu'une nation n'arrive pas à intégrer à sa majorité la presque totalité des personnes et des familles qu'elle accueille en son sein. Il faudra bien qu'un jour ce fameux interculturalisme proclamé (prétendument opposé au très réel multiculturalisme trudeauiste) se concrétise. Il semble qu'en ce domaine il nous reste un grand bout de chemin à parcourir, tant chez les «de souche» que chez les autres Québécois de diverses origines.
Des effets néfastes à surveiller
Cette question linguistique, très peu prise en considération par le gouvernement Charest, demeure surtout et toujours la préoccupation de mouvements tels le MNQ et la SSJB, préoccupation et organismes souvent dépréciés et snobés tant à gauche qu'à droite. À gauche, on fait souvent preuve d'une ouverture naïve et d'un respect complaisant, minimisant le facteur linguistique au profit de la seule répartition des richesses et de la seule défense des droits (et pourtant, Dieu sait que c'est important!). Quant aux lobbys de droite (les IEM de ce monde), ne pensant qu'en termes de dollars, ils donnent libre cours à leur obsession de l'enrichissement à tout prix, à leur quête de profits toujours plus importants, peu importe la répartition de ces derniers, ainsi qu'à leur volonté obstinée de rendre le Québec plus économiquement compétitif.
Dans les deux camps, on semble oublier qu'ici, au pays du Québec, l'immigration n'est pas qu'un simple phénomène économique, qu'elle a une incidence sociale indéniable, et qu'un déséquilibre linguistique accru pourrait produire des situations qu'il serait plus sage d'éviter.
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Normand Breault - Montréal