Libre opinion - Les leçons à tirer du drame de Saint-Jude

Monsieur le Premier Ministre Jean Charest,

Le 7 septembre 2010, il y a tout juste un an, vous appreniez la triste nouvelle de la mort de l'un de vos plus proches collaborateurs et amis, Claude Béchard, emporté à 41 ans par un cancer du pancréas après une longue et âpre lutte. Ce jour-là, peu importe les allégeances politiques, le Québec entier a été avec vous pour se désoler de cette perte, car ce ministre s'était montré courageux et digne jusqu'à la fin.

Ce même jour, dans la petite municipalité de Saint-Jude, nous apprenions par les journaux la mort de Richard Roy, 46 ans, atteint de trisomie 21. Incapable de s'occuper de lui-même, il n'avait pu survivre à la mort de son frère survenue quelques jours plus tôt, Jean-Guy Roy, 59 ans, qui s'en occupait depuis le décès de leur mère.

Illettré, disposant de peu de moyens, tant intellectuels que financiers, Jean-Guy Roy n'avait jamais demandé d'aide au CLSC, malgré les suggestions de certains proches. Il avait préféré s'en tenir à la promesse faite à sa mère de s'occuper de son petit frère. Un an plus tôt, constatant l'état de délabrement de la maison où vivaient les deux frères, la directrice générale de la municipalité de Saint-Jude s'était enquise auprès du CLSC des services disponibles dans une telle situation. Comme elle n'avait pas fait une demande formelle ou signalé un danger imminent, le CLSC n'avait pas jugé opportun de donner suite à cet appel, sans doute moins par mauvaise foi que par insuffisance de moyens...

Ce n'est pas la première fois qu'un tel drame survient. À l'automne 2004, dans des circonstances similaires, Tracy Liston, une femme trisomique de 41 ans, était morte dans son logement à Montréal après le suicide du frère aîné qui s'occupait d'elle. La pathologiste avait conclu que c'était probablement faute de nourriture.

Le moment est peut-être venu de faire un bilan et de changer cet état des choses, de faire en sorte que de telles tragédies ne puissent plus jamais se reproduire, car c'est sur cette promesse, faite à nous-mêmes, que nous pouvons juger du degré d'avancement de nos sociétés. Être solidaires des personnes parmi les plus démunies, comme le sont ceux et celles atteints de trisomie 21, leur accorder le même respect qu'à quiconque vit et respire sur cette terre, la même sollicitude que nous réservons aux enfants, qui sont plus fragiles, leur reconnaître cette dignité que nous jugeons essentielle à toute vie humaine, voilà ce qui devrait donner le ton à la gouvernance dans ce pays.

La Déclaration des droits de l'homme de 1948 ne formulait-elle pas que la dignité, en tant que caractère essentiel de la vie, consiste en «l'égale dignité de toute vie»? La reconnaissance de cette dignité signifie que les personnes vivant notamment avec une trisomie 21 méritent le même et inconditionnel respect, car leur vie n'a pas une moindre valeur. De même, les protections que confère la Charte québécoise des droits et libertés doivent trouver ici, et sans réserve, leur application.

Pourtant, la dépréciation ou l'exclusion des personnes atteintes de trisomie 21 se constatent chaque jour davantage. Dans une société individualiste comme la nôtre, obsédée par les valeurs de rendement et de profitabilité, il arrive trop souvent que nous considérions les personnes vivant avec une trisomie 21 comme de misérables assistés, des parasites méprisables vivant aux dépens de ceux et celles qui se lèvent tôt pour gagner leur vie et nourrir leur famille. [...]

Monsieur le Premier Ministre, vous avez ce pouvoir de transformer cette exclusion sociale en une intégration harmonieuse, du moins d'infléchir cette tendance en donnant l'exemple d'une approche plus humaine, plus soucieuse du bien-être des personnes atteintes de trisomie 21 et de leur famille. Ce n'est pas en comptant sur le programme de dépistage prénatal de la trisomie 21 (où nous comprenons qu'il vaut mieux ne pas vivre du tout que de vivre avec une trisomie 21) que nous éviterons des drames tels que celui survenu à Saint-Jude.

Rappelons que le Québec fait face à l'émergence de la première génération de personnes âgées vivant avec une trisomie 21 et qu'il n'y est aucunement préparé. Vous, êtes-vous prêt? Car il y a tant à faire, tant de négligences à réparer, tant d'attention à donner, tant de solidarités à bâtir!

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Sylvain Fortin, président de la Société québécoise de la Trisomie-21

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