Libre opinion - La madamisation de Radio-Canada

Disons-le: cette discussion des dernières semaines sur la «madamisation des médias» n'a fait que tourner autour du pot. On peut bien tenter de généraliser le débat, il est un endroit où la transformation est plus dérangeante et douloureuse qu'ailleurs: à la Première Chaîne de Radio-Canada.

Chaque jour de la semaine, c'est six heures d'antenne qui sont confiées aux émissions Christiane Charette et L'après-midi porte conseil. La première traite tout sujet avec une agitation et une superficialité franchement irritantes. La deuxième, malgré ses moments de pertinence, semble en compétition avec elle-même pour trouver les sujets les plus mièvres qui soient: trouver l'âme soeur grâce à son chien, la cuisine des légumineuses, les meilleures adresses de poupounage pour des sorties mère-fille...

Radio-Canada consacre même les soirées aux reprises de ces deux émissions, comme si elles étaient des moments phares et incontournables de sa programmation. Vraiment, Radio-Canada? C'est le mieux que vous sachiez offrir?

Nommons Annie-Soleil Proteau, qui fait chaque matin étal de son manque de formation artistique et intellectuelle nécessaire à la chronique culturelle. Nommons Nancie Ferron et sa chronique hebdomadaire bien personnelle sur la «consommation», à C'est bien meilleur le matin. Nommons les points de vue souvent datés à Je l'ai vu à la radio. Nommons les choix de tribune faciles à Maisonneuve en direct.

Rappelons aussi le déplacement de case horaire du monument de la réflexion, Jacques Languirand, qui a laissé place à... une émission de télévision. Soulignons l'insipidité du Forum, ligne ouverte française complètement niaise, qu'on nous présente chaque nuit comme «parmi les meilleures émissions de la Radio suisse romande et de Radio France».

Ce qui devrait être notre rempart public de l'intellectuel, de l'analyse critique et de la culture s'amollit et se «matantifie» dangereusement.

Membres de la direction de programmation, vous écoutez ce qui se passe en ondes des fois?

En fait, j'ai bien peur que oui, et c'est ce qui m'inquiète. La Première Chaîne ne diffuse pas que ce type de radio, mais on semble y prendre un malin plaisir à donner des cases horaire impossibles aux émissions de réel contenu: La Semaine verte (samedi et dimanche à 6h du matin), Les Années lumières (dimanche à midi), Studio 12 (samedi à minuit), Le 21e (vendredi à 21h). Pourquoi ces émissions ne bénéficient-elles pas de la tribune qu'on accorde à Mmes Charette et Poirier? Suffirait d'une par jour, non?

Non. On préfère nous offrir:
  • de la fascination pour les événements jet set
  • de l'auto-promotion de plus en plus assumée
  • des entrevues complaisantes et pauvrement menées
  • des tables rondes sur les sacoches ou les cheveux gris
  • de la fascination pour le Paris faussement intellectuel et pour le New York branché
  • des chroniques «minous, pitous, relaxation et mise en plis»
  • de nombreux intervenants aux qualifications un peu floues, qui enseignent leurs opinions personnelles comme on le ferait pour des faits.
La question se pose: qui donc sont ces gens qui ont quotidiennement besoin d'un tel vide? À qui parle-t-on à la Première Chaîne ?

De plus en plus: à personne. Quoi qu'en disent les cotes d'écoute, Radio-Canada ne parle plus à ses auditeurs. Le diffuseur public s'entête à ne faire qu'une chose: éviter. Il évite de choquer l'un. Il évite de confronter l'autre.

À la Première Chaîne, on pratique l'art de s'adresser au plus grand dénominateur commun. On a choisi l'auditeur type: une personne mièvre et superficielle qui ne regarde le monde qu'à travers son maquillage, ses sensations et ses émotions. Oui, la fameuse «madame».

La cible est idéale. On ne choque personne avec des émotions personnelles. Au pire, on ennuie, mais on ne dérange pas. Et peu importe si ces «madames» existent ou pas: la radio leur parle tellement souvent, elles doivent être nombreuses, non?

Foutaise. On nous prend pour des cons.

Le fait est que la Première Chaîne est encore et toujours un service public. Elle est notre université, notre bibliothèque, notre salle de spectacle à tous. Elle se doit de faire oeuvre utile.

Notre radio joue son rôle quand elle donne un micro à des gens brillants, plus éclairés et plus articulés que la moyenne, quand elle provoque des réflexions, quand elle nous heurte, nous éduque ou nous élève.

Trêve de paresse et d'inculture: ne tolérons rien de moins de sa part.

***

Dominique Charron - Fidèle auditrice de la Première Chaîne et responsable de la page Entendu à la radio publique sur Facebook

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