Touche pas à ma charte

Le 27 juin 1975 était adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale la Charte des droits et libertés de la personne. Quarante-sept ans plus tard, cette charte québécoise fait partie des raisons qui me rendent fier d’être Québécois. Garante de nos droits et de nos libertés, elle représente, notamment par le progressisme de ses dispositions contre la discrimination, l’ouverture et le désir d’égalité réelle du peuple québécois. Toutefois, pour certains, notamment le ministre Jolin-Barrette, la charte québécoise a une rivale : la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, à bien des égards, ces deux documents se ressemblent. En effet, ils garantissent sensiblement les mêmes droits et libertés et sont tous deux assortis d’une disposition de dérogation. Il existe, cependant, une différence fondamentale qu’on ne peut ignorer : le processus de modification.

Pour modifier la charte canadienne, il faut modifier la Constitution. Ainsi, si le gouvernement fédéral décidait un jour de réaménager les droits et libertés garantis dans ce document, il devrait s’engager dans un processus complexe qui, en plus de nécessiter l’assentiment de la Chambre des communes et du Sénat, devrait obtenir le soutien des assemblées législatives de sept provinces représentant 50 % de la population du Canada. Autrement dit, c’est un processus très complexe qui a, par le passé, systématiquement échoué. Pour sa part, la charte québécoise peut être modifiée par une simple majorité à l’Assemblée nationale. C’est ainsi qu’elle a été changée, sans unanimité et sous bâillon, en 2019, par le gouvernement caquiste. Une première dans l’histoire des modifications de ce document.

Dans leur essence même, les chartes des droits existent pour limiter le pouvoir du gouvernement et faire en sorte que certaines libertés, considérées comme fondamentales, ne puissent être brimées indûment par les aléas de la politique. Elles sont des garde-fous contre les dérives autoritaires et sont au coeur du contrat social entre le peuple et son gouvernement. Qu’un gouvernement puisse, par une simple majorité, modifier une charte des droits et, par le fait même, réaménager les limites de son pouvoir rend les libertés consacrées dans ce document, à certains égards, précaires.

C’est pourquoi ceux qui, comme le ministre, désirent voir un jour la charte québécoise prévaloir sur la charte canadienne, une impossibilité dans la structure constitutionnelle canadienne actuelle, devraient réfléchir à un encadrement plus restrictif de son processus de modification. L’incarnation juridique du contrat social québécois ne devrait pas être à la merci d’un simple coup de crayon législatif de la majorité du moment. Il en va, après tout, de la légitimité de ce document si fondamental et si cher à notre nation.

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