«Je ne me souviens de rien»

Les chroniques de l’historien Jean-François Nadeau nous informent de la lourde menace qui pèse sur notre patrimoine architectural et de sa lente disparition (tout récemment encore, la démolition du manoir seigneurial de Mascouche afin d’y aménager un espace « récréotouristique comprenant un “pastiche” de l’ancien manoir »). Je suis non seulement glacé d’effroi devant la destruction concertée de ce lieu historique irremplaçable, mais habité par une colère sans nom devant la négligence et, pis encore, l’indifférence crasse des instances gouvernementales et municipales face à ces « gênantes » reliques de notre passé, usurpatrices d’un lopin de terre que convoitent, l’eau à la bouche, des spéculateurs immobiliers. Pour tous les domaines, et résidences, et gares, et églises, et manufactures que l’on tente de sauver de peine et de misère, il y a les innombrables autres vestiges qu’on a rasés sans vergogne au fil du temps, faisant ainsi table rase de ces « rappels » extrêmement significatifs et éloquents de notre passé. Ce n’est plus seulement à l’effondrement de notre histoire que nous assistons, mais à la lente et irréversible érosion de notre mémoire et de notre conscience collectives. En ce moment résonne en moi cette réplique de la pièce Dernier recours de Baptiste à Catherine de Michèle Lalonde (écrite comme un manifeste pour la sauvegarde du patrimoine culturel québécois et située entre 1780 et 1875), réplique que j’ai dite soir après soir lors de la création de la pièce en 1976 : « Nous sommes un peuple particulier. Qui se réalise dans la défaite et trouve là sa vocation. » Car une nouvelle défaite nous guette : après celle de l’effritement de notre langue, celle, terrible et irréparable, d’un peuple que l’indifférence a rendu amnésique.

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