Je me souviens … vaguement

Le déboulonnage de la statue de Macdonald pourrait-il susciter un regain d’intérêt des Québécois pour leur histoire ? Les réactions au texte de Christian Gagnon («Macdonald était aussi le bourreau des francophones», 1er septembre 2020) permettent de le croire, mais rien n’est acquis. Depuis quelques décennies, le Québec aime vivre le présent. Comme l’a déjà dit un Québécois qui a beaucoup fait pour éviter l’histoire : «Le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, maître de son destin.» Quel besoin alors de rappeler des moments difficiles, des batailles perdues, des humiliations douloureuses ? Tout ça, c’est du passé, la bataille est gagnée, si jamais il y a eu bataille, et puis, les jeunes sont ailleurs ! Nous pourrions en fait changer notre devise, «Je me souviens», pour «Je me souviens… vaguement».

Voici un indice cocasse de notre posture équivoque quant à la mémoire et à l’oubli. Place d’Youville dans le Vieux-Montréal, on peut lire que le parlement du Canada-Uni y fut incendié un soir de 1849 par «des émeutiers insatisfaits de décisions du gouvernement» ! C’est vague pour un incendie de parlement. S’agissait-il de propriétaires de tavernes mécontents des nouvelles heures d’ouverture ? D’un mouvement contre la taxation du p’tit lard ?

Eh bien, non. Il y eut saccage méthodique, puis incendie total du parlement le soir même où la Montreal Gazette appelait les «Anglo-Saxons au combat pour leur sang et leur race», contre les Canadiens (français) qui allaient recevoir un dédommagement financier pour les destructions militaires lors de la rébellion de 1837-1838. Ils furent 2000, dont bien des notables, à piller la maison du peuple pour montrer qui était le boss au Bas-Canada. L’événement eut une bonne importance historique, mettant terme pour un siècle aux prétentions des Canadiens sur le Bas-Canada. (Même Wikipédia en parle longuement.)

On ne va évidemment pas demander à un petit panneau d’interprétation, rue McGill, de tout raconter cela. Sauf qu’ici, le recours à l’euphémisme «émeutiers insatisfaits» pour évoquer un conflit qu’on dirait en 2020 «racisé» trahit avec éclat le malaise, voire la mauvaise conscience, devant notre histoire. Sans revenir au roman national de jadis, pourrait-on au moins juste nommer les choses sans craindre de se faire accuser de victimite ou de revanchisme ? La stratégie réussit très bien à d’autres minorités en notre sein. Pourquoi nous priver d’interpeller à notre tour la fragilité anglo ?

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