Les moutons de Panurge

Le portrait du Canada dépeint par Jean-Marc Fournier (Avis aux nostalgiques : le Québec et le Canada changent !, 13 mai 2016) correspond davantage à l’enthousiasme puéril du boy-scout qu’à la vigilance que l’on attend du ministre responsable de veiller à ce que la langue et la culture française soient florissantes, au Québec comme dans le reste du pays. D’avoir siégé depuis si longtemps à l’Assemblée nationale semble avoir atrophié, dans une certaine mesure, la conscience identitaire de M. Fournier, qui aurait intérêt à comprendre que l’influence de l’optimisme, comme celui des voeux pieux, a ses limites sur le plancher des vaches.

Certes, on ne peut nier les progrès accomplis depuis un demi-siècle. Mais les faits et tendances, qui ne se démentent pas, ont plutôt de quoi faire réfléchir. Qu’une aussi faible proportion de nos concitoyens anglophones du ROC se donnent la peine d’acquérir ne serait-ce qu’une maîtrise minimale du français, qu’ils semblent d’ailleurs considérer comme une langue étrangère, s’inscrit dans l’évolution à la fois démographique et socioculturelle qui a vu le poids relatif des francophones se tarir au Canada depuis plusieurs décennies. Or, une telle évolution rassure-t-elle M. Fournier, au point de s’imaginer que les millions d’immigrants déjà venus d’Asie, pour ne nommer que ce continent, et ceux qui frapperont à notre porte suivront l’exemple de la proportion négligeable de parents anglophones qui inscrivent leurs enfants à des programmes d’immersion française dans le reste du pays ?

C’est bien sûr louable d’intervenir auprès de ses homologues des autres provinces, comme l’a fait récemment M. Fournier, afin que les francophones puissent y jouir d’un meilleur accès à l’éducation dans leur langue. Cependant, ces derniers étant condamnés à devoir composer avec une masse toujours croissante de Canadiens qui voient encore moins d’intérêt à apprendre le français que ceux de nos concitoyens québécois issus de l’immigration qui parviennent à fonctionner, ici même, sans le parler un tant soit peu, le ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne s’illusionne s’il croit pouvoir obtenir, par ses appels à la collaboration, autre chose que des progrès peu reluisants.

Ainsi, bien que nous n’ayons à craindre le retour du « mouton » au Québec, les moutons de Panurge aux lunettes roses semblent, eux, voués à y prospérer, du moins tant que perdurera cette belle complicité entre le jovial aveuglement des libéraux à Québec et le déni assumé de leurs collègues d’Ottawa.

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