« Le tueur n’est pas un jeune homme »

Imaginons ce que serait le Québec d’aujourd’hui si les autorités de l’époque avaient mis autant d’empressement à reconnaître le caractère misogyne du massacre de Polytechnique — à le comprendre et à le combattre — qu’a mis récemment le gouvernement fédéral à qualifier de « terroriste » le geste fou du « loup solitaire » du parlement, s’attirant ainsi la sympathie et la solidarité instantanées du monde entier.

Lorsqu’il y a 25 ans, nous réclamions une enquête publique pour faire la lumière sur la tragédie de Polytechnique, les autorités — relayées par la nébuleuse médiatique et une bonne partie de la population — ont opposé une fin de non-recevoir pour ne pas raviver chez les proches des victimes des souvenirs pénibles. Il s’agissait de l’acte isolé d’un fou et il fallait que les « féministes » cessent d’y voir un geste politique.

Le fait que cette tuerie avait été préméditée avec soin, qu’elle ciblait des femmes, que des militantes en vue figuraient sur la liste du tueur, attestant de sa misogynie, était à porter au compte de son délire. Le fait que sur les lieux du massacre — où 14 jeunes filles furent tirées à bout portant après avoir été séparées des garçons —, l’assassin avait crié sa haine des féministes était secondaire. Le fait, enfin, qu’au même moment, ailleurs dans le monde, des milliers de femmes étaient assassinées, violées, violentées et faisaient l’objet de discrimination ne concernait en rien le drame qui se jouait chez nous.

Pourquoi remuer tout ça maintenant ? Parce que, quand il s’agit des femmes, on fait trop souvent encore deux poids, deux mesures, et que le mot terrorisme est nul et non avenu.

Aucune parole ne pourrait traduire avec plus de justesse et d’actualité notre sentiment que ces mots de l’écrivaine Nicole Brossard, écrits dans la tourmente, il y a près de 25 ans :

« Elles, elles étaient jeunes, aussi jeunes que les acquis du féminisme. Elles étaient plus jeunes encore qu’elles ne s’en doutaient, beaucoup trop jeunes pour un seul homme armé d’un imaginaire millénaire. Elles étaient aussi jeunes que la vie recommencée d’espoir par chaque génération de femmes. »

Nous devons à la mémoire des 14 victimes de Polytechnique de ne jamais l’oublier.

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