Lettre - Un film à voir!
Il faut voir et entendre le film de Simon Beaulieu, Miron, un homme revenu d’en dehors du monde. Ma femme, qui aime L’homme rapaillé, a pleuré. Et moi qui ai enseigné le cinéma toute ma vie active, je sentais tout au long que j’avais le privilège de vivre une expérience cinématographique.
Sacré Beaulieu ! Il a compris le cinéma documentaire. Il ne s’est pas servi de Miron pour monter ses images, pour monter dans ses images à lui. Il a ramassé, il a rapaillé les images du pays (ce pays sans bon sens) qui traînent dans nos archives nationales et il a fait monter les mots de Miron au travers de ces images-là. Et je me disais, de temps en temps, en essayant de comprendre les images rapaillées sur l’écran, qu’il n’est pas facile de faire des images claires de notre réalité qui est embrouillée. Et puis, à d’autres moments, je pensais à Perrault qui disait qu’il fallait batailler drôlement pour nous donner les images de notre pays à nous. Cependant que les mots de Miron me disaient que l’amour charnel n’est que la métaphore de l’amour du pays.
J’entends encore les derniers mots que Miron prononce dans le film, des mots qu’il emprunte à Jean Bouthillette dans Le Canadien français et son double : « Ce que doit vaincre le peuple canadien-français, c’est sa grande fatigue, cette sournoise tentation de la mort. »
Et je pense à cet article puissant d’Hubert Aquin : La fatigue culturelle du Canada français.
Et je me dis que Miron, le plus grand poète de notre pays, est mort un an après la défaite de l’indépendance nationale de 1995. Je me dis aussi que Perrault, le plus grand cinéaste documentariste de notre pays, est mort trois ans plus tard ; Perrault qui disait : « je me suis voulu d’un pays qu’on ne voulait pas ».