Le coeur de l’argumentation de Mme L’Heureux-Dubé, ex-juge à la Cour suprême, repose sur sa définition de la religion. « La religion est d’abord et avant tout un engagement intérieur, une croyance », explique-t-elle dans un entretien avec Le Devoir. Ainsi, « les signes religieux font partie de l’affichage de ses croyances religieuses, et non pas d’une pratique de la religion », précise-t-elle. Or, cette réduction de la religion à l’une de ses composantes est une erreur commune qui ne résiste pas à une définition savante de la religion basée sur l’étude empirique du phénomène religieux.

 

Celui-ci comporte trois dimensions interreliées : une religion est un ensemble de pratiques symboliques possédant sa structure propre mettant en relations des représentations générales et particulières du monde, des rituels permettant d’effectuer les transitions de phases dans les cycles de l’existence et de traverser les situations de crise, ainsi que des règles constituant un code des conduites morales et rituelles. Cet ensemble est transmis par une communauté au sein de laquelle se déploient variablement des rôles sociaux spécialisés. Dans nos sociétés de droits, la liberté de religion concerne les personnes membres de ces communautés ainsi que les communautés elles-mêmes.

 

La liberté de religion doit donc être distinguée formellement de la liberté de conscience ou d’opinion, car elle se fonde sur le partage de représentations collectives, d’institutions rituelles et de règles communes, alors que la liberté de conscience ou d’opinion renvoie à la singularité des affirmations d’une personne.

 

On ne peut réduire le port de signes religieux à la manifestation de ses croyances. Dans bien des cas, il s’agit pour la croyante ou le croyant de l’observation d’une règle rituelle estimée ici obligatoire dans sa relation à Dieu. Pense-t-on sérieusement, par exemple, que les Québécois juifs portant la kippa veulent convertir au judaïsme leur entourage professionnel ? La réponse est évidente.