Lettre - Adieu, le planteur d’arbres!
Fou, on l’imaginait « pas tuable », mais Frédéric Back est « parti ». À jamais. Le discret graphiste — 30 ans dessinateur émérite à la SRC — avec sa voix enrouée, ses gestes de prestidigitateur, son doux regard de mouton, s’en est allé. Pour toujours. En un paradis promis, j’espère, qui sera couvert d’arbres, sa passion.
Duplessis-Sauvé congédiaient le prof de peinture révolté Borduas quand les élèves de l’École du meuble (et de céramique) virent arriver — de son Alsace natale — ce jeune surdoué. « Vous pouvez m’appeler « Fred » » ; il était à peine plus âgé que nous. Peu pédagogue, on veut le terroriser :
« L’hiver est effrayant par ici, on sort par les fenêtres, tant il y a de la neige. » On ricanait. Fred dit : « Oh, vous savez, jeune, il fallait aller à l’école en ski. »
Ce qui nous fit taire vraiment : ce jeune prof dessinait comme un dieu ! Oh, tous ceux qui l’aiment auraient voulu qu’il reste en vie, qu’il voit un jour l’écologie gagner tous ses combats. Revoir alors ce sourire ineffable qu’il arborait sans cesse. Un dimanche ensoleillé, j’aperçois près d’Oka mon camarade radio-canadien qui sort de sa petite caravane grise. Avec épouse, enfants et ses longues luges. « Fred, tu vas pas dans le nord ? C’est mieux, non ? » Mais lui : « Ah non, trop loin et trop de monde ! »
Oh, si vous l’aviez vu, circassien, rampant en acrobaties au-dessus des grilles des studios de télé avec ses poupées étonnantes, les mains pleines de fils, des agrafes au bec pour décorer de grandes Heures du concert !
Parti pour toujours, notre génial Fred ! Il se fracassa accidentellement un oeil par audaces et imprudences. Resté visionnaire, ce grand zigue borgne se mit à crayonner en milliers de dessins colorés et, avec son producteur admiratif, la SRC permettra à Fred Back de déployer tous ses dons. Ce seront des dessins animés uniques dans l’univers et des lots de prix. Images mouvantes qui lui vaudront — deux fois — la célèbre statuette californienne, dont l’inoubliable Homme qui plantait des arbres. Adieu, cher Frédéric Back !