Un silence médiatique troublant
La gente médiatique ne s'est pas retenue pour décortiquer les sens, la portée et les résonances du mot «pays» employé par le premier ministre français pour qualifier les relations entre la France et le Québec. Pas d'ingérence dans les affaires françaises, mais surtout pas d'indifférence envers les mots et les affirmations faites par les augustes porte-parole de l'ex-mère patrie.
Pourtant, au moins deux affirmations du même invité, faites à l'ouverture des cérémonies du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec et bien rapportées dans les médias, auraient grandement mérité d'avoir des échos dans l'industrie du commentaire, mais rien. Étonnant? Troublant peut-être?Affirmer qu'il y a 40 ans «une voix historique a tiré le Québec de son hivernement» (hibernation, M. Fillon) ne devrait-il pas faire sursauter ceux qui ont perdu l'habitude de la génuflexion et regardent avec fierté ce qu'ils ont bâti par leurs propres moyens? En 1968, le général de Gaulle a certes sauvé le mouvement indépendantiste de ses divisions, sinon de son enlisement, et Dieu sait que ses militants lui vouent encore une reconnaissance aveugle. Mais, trêve de veuleries, ni la France ni son illustrissime général ne sont venus sauver le Québec il y a 40 ans, pas plus que la France de Louis XV n'avait sauvé sa colonie en 1763. En 1968, le Québec, à bout de bras et de têtes d'ici, avait depuis quelques décennies déjà amorcé et réussi une profonde évolution sociale, culturelle et économique, nationale plus que nationaliste, universelle plus que territoriale, rassembleuse et non partisane, nourrie de valeurs plus que d'idéologies, québécoise et non anti-anglaise.
Une autre affirmation, grosse comme une enflure. «Il n'y a qu'une France et c'est elle qui, depuis quatre siècles, est présente en Amérique.» Ah bon! Moi qui pensais que c'était la langue et la culture françaises qui étaient demeurées présentes et s'étaient développées ici, grâce aux convictions et aux combats de ceux qui sont restés après l'abandon de la mère patrie et le repli des élites. Je sais bien que, du point de vue d'une certaine idéologie nationaliste, les propos gaullistes ont été, sont et seront toujours bienvenus et savourés les yeux fermés, mais le baisemain a ses limites, même en diplomatie.
Le détournement des yeux stratégique des uns et la discrétion obligée des autres, je veux bien, mais ce silence curieusement sélectif n'est-il pas inquiétant?