Tabac: le Québec doit-il imiter l'Ontario?
«Le cours naturel de la situation avance trop lentement. Je pense qu'il faut suivre l'exemple de nos voisins en Ontario», m'a-t-il dit. C'était en janvier dernier, alors que je discutais avec le ministre de la Santé Philippe Couillard sur la nouvelle loi antitabac. Ma question était: «La moitié des cafés au Québec ne sont-ils pas déjà à 100 % "non fumeur"? Pourquoi une loi comme celle que vous proposez est-elle nécessaire, lorsque la situation change naturellement?»
À la suite d'autres déclarations émises par le ministre Couillard depuis cette conversation, je suis en effet convaincu qu'il se réfère à l'Ontario pour adopter sa voie. En mai dernier, il a émis une déclaration complètement absurde qu'il a copiée sur les activistes antitabac de l'Ontario, lesquels répètent souvent: «Ça prendrait une tornade pour ventiler efficacement un bar ou un restaurant enfumé.» Vraiment? Si cela était vrai, comment se fait-il que l'on soit en mesure de ventiler adéquatement les puits miniers creusés à plus d'un kilomètre sous terre ou encore les stationnements de garages souterrains? Il est troublant de constater qu'aucun média français ou anglais n'ait jugé nécessaire de questionner le ministre concernant cette déclaration ridicule.Souhaitons-nous vraiment que le Québec devienne une copie conforme de l'Ontario? Bien que les Ontariens soient des gens agréables, le rôle du gouvernement dans leurs vies ne l'est pas. En fait, le gouvernement provincial de l'Ontario semble croire que les Ontariens sont des moutons à qui l'on ne peut faire confiance pour réfléchir et faire leurs propres choix. Je ne peux penser à d'autres justifications aux nombreuses lois visant à contrôler la vie et le comportement des gens en Ontario. Par exemple, pour m'adonner à l'un de mes passe-temps favoris, je pourrais écoper de deux contraventions en Ontario: une pour m'être promené en vélo sans casque de sécurité, et l'autre pour avoir pique-niqué avec une amie dans un parc avec un goûter et une bouteille de vin. Ceci est illégal en Ontario puisque le port du casque de sécurité est obligatoire et qu'il est défendu de consommer du vin en pique-nique. Même lors des concerts en plein air, il est défendu aux Ontariens de consommer de la bière à moins qu'ils ne le fassent dans un endroit spécial, un «beer garden» séparé et éloigné de la scène. Il n'est pas étonnant que plusieurs Ontariens préfèrent venir au Québec lors des Fêtes de fin d'année et autres congés puisque leur propre gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour les empêcher de relaxer et de s'amuser.
Et voilà que, maintenant, le ministre Couillard veut imiter la croisade antitabac de l'Ontario. Qu'importe l'opinion que nous avons de ceux qui fument, les Québécois, amoureux de liberté, devraient s'opposer à cette approche. Si nous acceptons, de la part du gouvernement, les contraintes qui visent à nous protéger de nous-mêmes, il n'y aura plus de fin. Davantage de restrictions sur l'alcool, une taxe sur la malbouffe, le port obligatoire du casque de sécurité pour tous, des directives spéciales sur la façon d'élever nos enfants, le tout financé à même nos taxes déjà très élevées et, évidemment, à l'encontre de notre volonté (autrement, pourquoi instituer des lois d'interdiction?).
Déployer des efforts vers «un avenir sans fumée» n'est même pas un objectif légitime du gouvernement, car il va de soi que beaucoup de gens prennent plaisir à fumer leurs cigares, leurs pipes ou leurs cigarettes. Comment est-ce que les Jean-Paul Sartre, Winston Churchill et René Lévesque de ce monde auraient qualifié un tel but? Un de mes amis m'a dit récemment: «Si le gouvernement veut imposer les préférences d'un groupe de personnes à toute la population, je pense qu'il devrait être défendu pour les hommes de dénuder leurs poitrines en public, alors qu'on devrait obliger les femmes à le faire.» Un objectif plus légitime du gouvernement serait d'aider tous ceux qui veulent cesser de fumer jusqu'à ce qu'ils puissent s'arrêter, mais sans continuellement harceler les gens jusqu'à ce qu'ils se sentent forcés d'arrêter (une campagne de «dénormalisation» payée à même leurs taxes).
Pensez-vous que le fardeau financier qui pèse sur le système de la santé à cause, théoriquement, des maladies relatives à la cigarette justifie le harcèlement et la contrainte? Cette façon de penser nous conduit aveuglément dans un labyrinthe de jugements mesquins et de chamailleries afin de savoir qui coûte le plus cher à la société. Une voie pourrie, indigne de notre grand héritage et de notre société (et puisque nous débattons ce sujet, beaucoup d'économistes ont souligné que les fumeurs subventionnent le système avec la surtaxation de la cigarette et l'épargne résultant d'un décès prématuré avant la retraite). Lorsque nous avons adopté le système universel de soins de santé, j'ose espérer que nous n'avons pas dédié nos corps à la «collectivité». La «santé publique» ne devrait jamais servir à justifier la contrainte et le harcèlement des gens au gré des caprices de bureaucrates, de professionnels de la santé, de politiciens et de groupes en croisade. Le terme «santé publique» devrait plutôt désigner ce qu'il était originalement destiné à signifier: des critère élevés afin de garantir une eau potable pure et saine, les vaccinations, l'inspection des aliments sans danger de contamination, le contrôle de la pollution et plusieurs autres enjeux qui ne s'encadrent pas (sic) avec le choix individuel.
Nous tous, le clergé de la santé y compris, avons fait des choix qui peuvent contribuer à détériorer notre santé, et qui peuvent affecter les coûts du «système». Conduire la voiture pour se rendre au travail au lieu d'utiliser le vélo, acheter une automobile à haute consommation d'essence, regarder la télévision allongé sur le sofa au lieu de s'adonner à des activités physiques, utiliser l'ascenseur, mal s'alimenter, pratiquer des sports à haut risque, fumer, boire, ne pas se réchauffer avant de faire de l'exercice, pratiquer la promiscuité sexuelle sans protection... et la liste s'allonge. M. Couillard et ses amis veulent s'immiscer dans nos vies personnelles et nous forcer à calculer le coût de chacun de nos comportements, nous culpabiliser et imposer des lois contraignantes à ceux qu'ils considèrent comme «coupables», en deux mots, nous engager sur la route qui mène vers l'enfer — avec «des bonnes intentions», naturellement.
Alors, nous proposons une idée novatrice à M. Couillard: laissez aux Québécois le choix du bar, du restaurant et du café dans lequel ils désirent relaxer ou travailler. Il y a de plus en plus d'établissements pour non-fumeurs qui s'ouvrent au public tous les jours, d'une façon naturelle. Le cours de la nature n'est pas trop lent, il évolue précisément à la vitesse souhaitée par la majorité de la population.
Concernant la campagne antitabac, les anciennes mesures semblent avoir porté fruits: depuis que nous avons commencé, dans les années 1970, à prévenir activement la population des risques sur la santé reliés à l'usage du tabac, le nombre de fumeurs a sensiblement diminué. Aussi, malgré les exagérations paranoïaques des militants de la santé, nous vivons plus longtemps qu'avant et en meilleure santé.
Alors, M. Couillard, si vous désirez copier quelque chose sur l'Ontario, veuillez limiter vos interventions à la réparation des nids de poule (quelquefois des cratères en puissance) dans nos rues. J'ai presque risqué ma vie à cause de l'un d'eux hier et j'étais très loin d'une cigarette.