Il n'est pas question de revenir à un Québec bilingue

Le 15 juillet dernier, Le Devoir publiait un article concernant l'ouvrage collectif Le français au Québec: les nouveaux défis, publié par les Éditions Fides. Le titre et certains paragraphes ont parfois été interprétés, ces derniers jours, dans un sens qui nécessite une mise au point, sans que pour autant soit remise en question la bonne foi du journaliste.

Certains ont pu croire, à partir de l'article concerné, que l'une des idées maîtresses mise de l'avant dans cet ouvrage visait l'inclusion dans la Charte de la langue française de mesures favorisant une quelconque forme de bilinguisme officiel ou institutionnel. Il n'en est rien. La promotion et la défense d'un Québec français ont été et restent au centre des préoccupations des auteurs et des spécialistes qui ont participé à la réflexion depuis un an et demi. Il n'est pas question de revenir à un Québec bilingue.

Par contre, il apparaît essentiel, dans un monde de plus en plus interdépendant, d'affirmer clairement la nécessité d'un plurilinguisme individuel chez le plus grand nombre de Québécois possible. L'anglais, sans doute, mais aussi d'autres grandes langues telles que l'espagnol, le portugais, l'allemand, le chinois, l'italien, l'arabe, sont devenues des instruments de promotion sociale et économique incontournables dans notre environnement mondialisé. Il a semblé à certains chercheurs qui ont contribué à ce collectif que l'État québécois devait soutenir davantage l'acquisition de ces compétences. Cet objectif est parfaitement compatible avec la Charte de la langue française et les politiques linguistiques qui en découlent. Mais la priorité doit rester au français, tant pour les Québécois de longue date que pour les nouveaux arrivants.

La montée du bilinguisme dans la région de Montréal, qui à bien des égards est déjà très présent dans les générations montantes, n'est pas sans effet sur le statut et la qualité du français. C'est pourquoi il faut anticiper, réfléchir et discuter afin d'établir les stratégies nécessaires pour préserver et accentuer le caractère français de Montréal. C'est aussi pourquoi l'un des défis mentionnés dans le livre est de promouvoir et de consolider le français en tant que langue commune quand une part de plus en plus importante des citoyens, et particulièrement des jeunes allophones qui ont été scolarisés en français, sont des bilingues ou des trilingues fonctionnels dans leur vie quotidienne.

La loi 101 a permis d'atteindre une grande partie des objectifs de francisation et nous constatons un très large consensus pour maintenir le cadre juridique actuel, quitte à y apporter les correctifs qui pourraient s'imposer. Il est possible aujourd'hui de s'appuyer sur ces acquis pour aller plus loin dans l'atteinte des objectifs de la politique linguistique. Mais il faut aussi tenir compte des réalités qui ont changé: aujourd'hui, les pressions favorables à l'anglicisation viennent principalement de l'extérieur du Québec et non plus seulement des forces sociologiques internes ou de la rivalité entre groupes linguistiques. Les réponses à ces nouvelles pressions ne peuvent plus être les mêmes.

La francisation des milieux de travail a été l'un des principaux piliers de l'aménagement linguistique mis en place à la fin des années 1970. Cette politique a connu un succès relatif au cours des 30 dernières années. Cependant, c'est aussi, aujourd'hui, la plus menacée par les effets de la mondialisation. Il faut donc lui accorder une attention particulière et prendre des mesures renforçant l'usage et l'utilité du français dans les entreprises. Sous cet angle, la langue de travail est la première priorité. Une nouvelle mobilisation des acteurs est nécessaire, mobilisation qui répond aux intérêts des travailleurs, des syndicats et des entreprises elles-mêmes.

L'ouvrage que nous présentons énumère de nombreux autres défis, comme la reconnaissance et l'acceptation du français en tant que langue commune dans un contexte de diversité culturelle désormais inhérente à la réalité québécoise, les exigences de la qualité du français écrit et parlé, la maîtrise en français des technologies de l'information, l'intégration et la francisation des immigrants.

Ainsi que le dit le sociologue Guy Rocher, dans son introduction à l'ouvrage: «Il est certain que le contexte de 2005 est, à plusieurs égards, bien différent de celui que l'on connaissait en 1977. La trentaine d'années écoulées a vu se modifier un bon nombre de choses. Mais ce nouveau contexte, plutôt que de nous rassurer sur l'avenir de la langue française au Québec, appelle l'élaboration d'une nouvelle politique linguistique adaptée aux défis et aux contraintes qui seront ceux du XXIe siècle. La situation actuelle de la langue française exige que s'ouvre un nouveau chantier de réflexion, non pas d'abord sur une loi, mais sur la politique linguistique dont la loi sera l'expression juridique et politique.»

Les questions sont posées et des pistes de réflexion sont proposées à la discussion. C'est dans cet esprit que le Conseil supérieur de la langue française a commandé cette réflexion. Cela fait, il revient à chacun, à chaque groupe, de faire son propre cheminement. Et les membres du Conseil eux-mêmes pourront en tenir compte dans leurs délibérations à venir.

À voir en vidéo