Libre-opinion: Priorité au développement du Québec
Lors de son congrès de juin dernier, le Parti québécois s'est engagé à solliciter, lors de la prochaine campagne électorale, le mandat de tenir un nouveau référendum sur l'accession du Québec à la pleine souveraineté. Cette orientation semblent rallier les différentes tendances au sein du Parti québécois. Dans l'éditorial du dernier numéro de la revue (vol. 2, no 2, 2005), les membres du comité éditorial des Cahiers ont souhaité soumettre au débat public une autre vision du développement du Québec.
La Révolution tranquille, malgré les inévitables effets délétères qu'elle a engendrés, a largement réussi: elle a fait du Québec une société capable de rivaliser avec les autres sociétés occidentales et elle a mis au monde des générations de Québécois qui ne se sentent ni inférieurs ni aliénés. Il faut aujourd'hui poursuivre le développement du Québec. Comme nous l'avons déjà souligné et comme les 400 jeunes rassemblés l'été dernier dans le cadre de l'Université du Nouveau Monde l'ont affirmé avec éclat, il est temps de dire que notre première allégeance va, sur le plan des valeurs et des idéaux, à l'égalité des chances, à l'humanisation de l'économie et à la responsabilisation de la consommation, au développement durable, à la consolidation de notre espace démocratique et à la justice sociale en contexte de diversité culturelle. [...] Au comité éditorial des Cahiers, comme partout au Québec, les vues divergent sur le projet de souveraineté. Nous nous entendons toutefois sur une chose: le PQ met la charrue devant les boeufs en s'engageant à tenir un nouveau référendum sur la souveraineté le plus rapidement possible. [...]L'indépendance politique complète du Québec ne peut plus être conçue aujourd'hui comme une fin, un absolu, mais plutôt comme un moyen, envisageable parmi d'autres, de continuer à faire progresser la société québécoise. Pour l'heure, nous avons un urgent besoin d'adapter des pans entiers de l'État, érigés il y a 30 ans, aux dynamiques et aux défis contemporains. Faisons le pari de travailler sur le présent en générant une nouvelle vague de changements sociaux, économiques et politiques qui amélioreront, en s'attaquant aux persistants déséquilibres sociaux et environnementaux qui nous affligent, notre qualité de vie. Nous n'avons à attendre ni approbation ni qu'on nous reconnaisse pour innover. Cela exigera un usage optimal de nos champs de compétence et une participation aux débats canadiens, panaméricains et internationaux cruciaux pour l'avenir du Québec. Si des obstacles qui se dressent devant nous exigent la création d'un État complètement indépendant, alors il faudra agir et demander à la population de trancher. La pertinence d'un référendum sur l'indépendance s'incarnerait alors dans des problèmes très concrets aux yeux des citoyens. Cette fenêtre historique pourrait s'ouvrir dans cinq ans, 25 ans, 100 ans...
Nous souhaitons, pour notre part, que le prochain débat collectif sur le bien-fondé d'un nouveau référendum sur la souveraineté du Québec, s'il doit avoir lieu, émerge d'une volonté populaire plus large et plus interculturelle, et non de ce qui ressemble, il faut bien le dire, à l'obsession d'un grand nombre de membres du PQ. Pour un regard sociopolitique plus lucide sur le Québec d'aujourd'hui. Pour l'instant, si on observe la tendance dans la longue durée, une majorité de Québécois n'arrivent pas à croire, malgré la persistante pédagogie souverainiste, que les crispations du fédéralisme canadien empêchent le Québec de progresser et que seule la rupture pourrait lui permettre de faire de nouvelles avancées. Si tel était le cas, la souveraineté du Québec serait déjà chose accomplie.
Drôle de retournement du destin, les succès considérables du mouvement d'affirmation du Québec dans les 40 dernières années — des succès auxquels le Parti québécois a indéniablement contribué — compliquent singulièrement la tâche aux souverainistes. Les arguments propres à la période de décolonisation des années 1960 et 1970 ne collent plus à la réalité. Comment, en effet, convaincre les Québécois de faire un geste aussi radical que celui de faire sécession du Canada, alors que ceux-ci constatent que le Québec continue, même parfois péniblement, de se développer dans une foule de secteurs? [...]
L'échec des réformes constitutionnelles de la fin des années 1980 et du début des années 1990 — des réformes qui visaient à corriger l'erreur de 1982 — a bel et bien insufflé au projet de souveraineté un nouveau sens et une nouvelle pertinence, mais cette ouverture historique s'est refermée, deux fois plutôt qu'une, avec l'écrasement du gouvernement Bourassa au lendemain de la commission Bélanger-Campeau et avec la défaite référendaire de 1995. Cette fenêtre refermée, les souverainistes doivent se rabattre sur le déséquilibre fiscal et sur le scandale des commandites pour faire la démonstration du bien-fondé de la sécession du Québec. [...]
Disons-le simplement, nous ne croyons pas que l'énergie politique du Québec doive être mobilisée, pour l'heure, au profit d'un nouveau débat référendaire. Ayant transformé la défaite du dernier référendum en pseudo-victoire, il semble qu'une partie importante du PQ pense qu'il suffit de répéter l'expérience de 1994-95, en corrigeant quelques erreurs d'ordre tactique, pour remporter une victoire décisive. Cette idée qu'il existe une recette à suivre alimente le «référendisme» qui afflige le PQ. Cet ainsi que le Parti québécois a pu s'engager à solliciter, lors des prochaines élections, un mandat pour «réaliser» la souveraineté (avec toute l'ambiguïté propre à cette formule). Cette orientation nous semble regrettable pour au moins deux raisons. Elle nous paraît regrettable d'abord parce que nous ne voulons pas d'une autre défaite référendaire. Les deux précédentes ont fait reculer le Québec. Le lendemain d'une défaite référendaire, le Québec est politiquement divisé, déstabilisé et démobilisé, alors que la capacité d'action et d'initiative du gouvernement fédéral est tonifiée. Il y a un prix, qu'on connaît trop bien, à une défaite référendaire. Les leaders du Parti québécois font parfois preuve d'une insoutenable légèreté à cet égard.
Cette orientation nous paraît regrettable aussi parce que, si le PQ persiste dans son entêtement «référendiste», la prochaine campagne électorale risque fort d'être mobilisée par la question du référendum. Cet enjeu conditionnera le vote de bien des citoyens. Le nécessaire choc des visions du Québec proposées par les différentes forces politiques québécoises se trouvera ainsi escamoté une nouvelle fois.
À la lumière des progrès des 45 dernières années, il est difficile de faire croire aux Québécois qu'on ne peut faire mieux et plus dans les domaines qui les préoccupent. Quand on y pense, la Révolution tranquille a eu lieu avant-hier dans l'histoire du Québec. Cette vaste réforme a fait faire au Québec des gains importants, mais elle a aussi connu des ratés considérables. Il est donc temps de redonner un coup sur l'accélérateur en ce qui a trait à l'égalité des chances pour ceux qui n'ont pas profité de la première vague d'inclusion, au développement durable des écosystèmes québécois, à l'intégration des immigrants, à la lutte contre le décrochage scolaire, à la consolidation de notre espace démocratique, etc. [...]
Y a-t-il, dans le Québec actuel, une force politique qui endosse une telle éthique sociétale conjuguée à une saine dose de pragmatisme? Les Cahiers comptent bien contribuer au débat sur cette question dans les mois à venir.