Libre opinion: Que faire du jugement Chaoulli?

Le récent jugement de la Cour suprême dans l'affaire Chaoulli a rouvert le débat sur la meilleure façon d'assurer l'accessibilité aux soins de santé au Québec et au Canada. Mais pourquoi a-t-il fallu recourir aux tribunaux sur cette question alors que nos tablettes débordent de rapports de commissions d'étude et de groupes de travail qui ont proposé de multiples solutions à tous ces problèmes?

Une partie de la réponse tient à notre difficulté à passer collectivement à l'action. La rigidité et la lourdeur du système de santé et de services sociaux rend très difficile de trancher les dilemmes et de mettre en oeuvre les solutions. Les intérêts corporatistes de ceux qui vivent du système constituent une force d'inertie colossale. Mais surtout, nous avons de la difficulté à tenir un débat public éclairé sur les vrais problèmes et les conséquences des choix qui seront faits.

Un nouveau forum pour tenir le débat public

L'Institut du Nouveau Monde (INM) — un institut indépendant, non partisan, voué au renouvellement des idées et à l'animation des débats publics au Québec — a tenu au printemps un «Rendez-vous stratégique sur la santé».

Plus de 200 citoyens et experts ont investi bénévolement de leur temps (trois week-ends) pour s'informer, débattre et proposer des façons d'améliorer la santé, de réduire les inégalités, et des solutions pour améliorer les services. Les échanges ont fait ressortir une vision à la fois plus large, plus nuancée et plus ouverte que ce que l'on entend généralement de la bouche des politiciens, des experts ou des porte-parole qui monopolisent la place publique.

Le résultat de cette délibération, exposé dans un livre paru en juin aux Éditions Fides sous le titre 100 idées citoyennes pour un Québec en santé, disponible en librairie et sur Internet (www.inm.qc.ca), est aussi beaucoup plus éclairant que les sondages ponctuels menés sur le sujet.

Par exemple, La Presse révélait le 30 juin que «les Québécois sont favorables au privé», et ce dans une proportion atteignant 69 % chez les moins de 35 ans. Cependant, la question posée comportait une condition majeure.

On demandait en effet aux répondants si le gouvernement du Québec devait permettre l'assurance santé privée «tout en protégeant l'intégrité du système public».

Que recouvre, pour les répondants, la notion d'intégrité du système public? Quelles sont les conditions à mettre en place pour réaliser cet objectif? Seule une délibération méthodique, soutenue par une documentation exhaustive, permettrait de tirer cette question au clair. C'est ce que l'INM a fait en organisant ce dialogue informé entre experts et citoyens dont les conclusions sont éclairantes pour la suite du débat.

Nous encourageons le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, à s'inspirer de ce processus pour mener le débat qui s'ouvre, plutôt que de s'en tenir aux avis d'experts et de comités réunis derrière des portes closes. Tout changement requerra l'appui de la population. Celle-ci doit avoir l'occasion de participer.

Oui au privé, non aux profits sur le dos des malades

Sur la question spécifique soulevée par l'arrêt Chaoulli, la réponse des participants au Rendez-vous stratégique de l'INM ouvre une voie de compromis.

Les citoyens ont exprimé une ouverture réelle à une contribution du secteur privé dans la production des services de santé tout en rejetant, toutefois, la logique marchande.

Le débat a fait apparaître une nuance importante: ce n'est pas le caractère privé d'une clinique, ou même d'un hôpital, qui suscite des craintes, mais l'idée que l'on puisse faire du profit sur le dos des malades.

Les citoyens ont exprimé un vif intérêt pour des formes de contribution du secteur privé mais à but non lucratif, comme les coopératives de santé, ou même comme certains hôpitaux que l'on retrouve aux États-Unis ou en Europe où les médecins sont salariés et les bénéfices réinvestis dans les soins.

Ils posent toutefois des conditions: que les services privés soient contrôlés et répondent aux priorités définies par le secteur public; que l'accessibilité universelle soit garantie; que les services soient payés par l'assurance maladie.

Bref, le gouvernement doit bien baliser la place du secteur privé, le réglementer et veiller à ce qu'il soit complémentaire au secteur public.

Le privé pourrait en ce sens jouer un rôle dans tout ce qui est périphérique aux soins: immeubles, technologies, etc.

Le ticket modérateur a été rejeté. Le recours aux assurances privées évoquées dans le jugement Chaoulli n'a pas suscité d'appui.

Pour financer le système de santé, les citoyens rejettent toute idée qui ressemblerait à une taxe déguisée. S'il faut plus d'argent pour la santé, ils veulent que l'État le dise franchement. Ils ont cependant exprimé le souhait qu'avant d'ajouter au budget de la santé, le gouvernement fasse la preuve que les fonds actuels sont bien dépensés. Les citoyens réclament une plus grande transparence, une évaluation systématique et publique du système, et plusieurs modifications dans l'organisation des soins, la répartition des tâches entre professionnels et même dans la façon de rémunérer les médecins.

Prévention et lutte contre la pauvreté

Les participants au Rendez-vous stratégique de l'INM sur la santé ont surtout ouvert le débat sur d'autres perspectives. Ils réclament un virage en faveur de la prévention. Ils souhaitent aussi que l'État et la société tout entière prennent des mesures pour agir sur les déterminants de la santé: environnement, alimentation, activité physique. Au premier chef, ils réclament une action vigoureuse contre la pauvreté, qui est l'un des facteurs les plus déterminants de l'état de santé d'une population. Au Québec, une personne pauvre meurt en moyenne 14 ans plus jeune qu'une personne riche.

Enfin, ils réclament un virage citoyen: ils veulent que l'on redonne aux citoyens du pouvoir au sein du système de soins.

Nous sommes convaincus que les citoyens du Québec sont prêts à accepter des approches et des solutions qui sortent des dogmes bien polarisés que véhiculent les groupes d'intérêt. Le débat est ouvert. Profitons de l'occasion pour mettre en oeuvre, après avoir consulté la population, des solutions qui briseront la rigidité et la lourdeur du système et introduiront plus de flexibilité et plus de capacité d'adaptation, tout en protégeant les valeurs d'équité et d'universalité.

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