Retour sur les attentats de Londres

Au-delà de leur caractère abominable et condamnable, les attentats qui ont récemment secoué la capitale britannique rappellent une amère vérité: Londres a toujours été une terre d'accueil pour les extrémistes de tout poil.

Alors que les terroristes mettaient l'Algérie à feu et à sang dans les années 90, les autorités britanniques, fidèles à leur flegme légendaire, continuaient à offrir refuge à leurs chefs au nom d'un démocratisme désuet et en fonction de calculs bassement politiciens. On se rappelle avec quelle déconcertante impunité des cerveaux du Groupe islamique armé (GIA) revendiquaient, à partir de leur havre londonien, les atrocités commises par leurs sbires en Algérie. Le triste bilan de Londres constituait le lot quotidien des Algériens au plus fort de la furie terroriste. Et personne ne s'en offusquait. Convaincue du caractère transnational du terrorisme islamiste, l'Algérie, qui menait dans la solitude une douloureuse lutte antiterroriste, n'avait pourtant cessé d'appeler à une coopération internationale pour éradiquer ce mal. En vain. Au lieu de s'alarmer de ce phénomène tentaculaire, la fameuse communauté internationale préférait épiloguer sur les «véritables» assassins en Algérie à coups de commissions d'enquête et de ridicules interrogations du genre: «Qui tue qui?»

C'est qu'à cette époque-là, l'oncle Sam n'était pas encore inquiété et ses acolytes britanniques étaient loin de penser que leurs rapports adultères avec les islamistes de la pire engeance allaient un jour tourner au cauchemar. Jusqu'à un passé récent, Trafalgar Square et la populaire mosquée de Finsbury étaient des tribunes de prédilection pour des prédicateurs extrémistes jamais inquiétés pour leurs fatwas (avis religieux) et leurs prêches enflammés. C'est dans ces hauts lieux de la propagande islamiste que le tonitruant Égyptien Abou Hamza al-Misri appelait, il y a quelques mois, au djihad (guerre sainte) et chauffait à blanc des foules revigorées par la guerre en Irak. Un autre prêcheur d'origine syrienne affichait publiquement, dans ces lieux, son intention d'instaurer un califat en Grande-Bretagne, promettant qu'une fois le projet théocratique réalisé, tous les homosexuels seraient jetés du haut de la plus grande tour londonienne. Cela se passait sous le nez et la barbe de Scotland Yard.

Abou Qotada al-Falestini, un Jordanien d'origine palestinienne qui passe pour être l'homme de confiance d'Oussama ben Laden en Europe, se pavanait librement dans la capitale londonienne avant qu'il ne disparaisse subitement dans la nature. Kamredine Kharbane, Boudjema Bounoua, Abou Doha et autres Djaffer el-Houari, tous des chefs intégristes en lien avec les groupes terroristes en Algérie, n'ont jamais été extradés en dépit des innombrables efforts diplomatiques d'Alger. Londres évoque étonnamment et invariablement la liberté d'expression de ces «réfugiés politiques». Même la France s'est heurtée à l'incompréhension britannique en essuyant une fin de non-recevoir à sa demande d'extradition de Rachid Ramda, l'argentier des attentats de Paris en 1995, que Washington veut aussi avoir pour ses relations avec Ahmed Ressam.

C'est un secret de Polichinelle: Londres fourmille de dangereux extrémistes qui ont prospéré sous ses lois excessivement clémentes. Si bien d'ailleurs qu'au début des raids américains sur l'Afghanistan, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, certains observateurs se demandaient s'il ne fallait pas plutôt bombarder la capitale britannique qui, selon eux, abritait des terroristes autrement plus redoutables que les talibans de Kaboul ou de Kandahar. L'interrogation, au-delà du cynisme qu'elle recèle, n'en est pas moins pertinente. Qu'est-ce qui pousse donc Londres à donner refuge à des sanguinaires avérés? Il y a derrière cet aveuglement l'obsessionnel attachement des autorités britanniques à la sacro-sainte liberté d'expression. La capitale britannique a certes cette tradition d'accueillir des dissidents du monde entier, mais étendre cette «hospitalité» à des revendicateurs, voire des architectes d'attentats innommables contre des enfants, des femmes et d'autres citoyens innocents, c'est franchir un pas vers l'absurde.

Quoi qu'il en soit, il ne faut surtout pas conclure à une certaine naïveté britannique en matière de lutte antiterroriste. Le fait est que dans les rouages du MI5, le service de renseignement britannique, on préfère «laisser faire» des extrémistes connus et reconnus pour leurs crimes afin d'en faire de précieuses sources d'information. Les spies anglais se targuent du reste de posséder les plus importants renseignements au monde sur la nébuleuse islamiste. Il est vrai que certains extrémistes qui pullulent sur le sol britannique deviennent parfois les collaborateurs des services secrets. Le marché est simple mais néanmoins ahurissant: «Dites et faites ce que vous voulez, mais épargnez-nous et coopérez avec nous.» Toutefois, ce compromis tacite n'aura pas survécu à l'invasion américano-britannique de l'Irak. Les analystes en conviennent, «cette guerre a relancé la logique du combat total contre l'Occident». Et, comme les divorces se passent souvent dans l'esclandre et parfois dans la violence, Londres et ses islamistes ont consommé le leur dans le feu et le sang. C'est l'histoire des Américains et des talibans qui se répète sur les rives de la Tamise. Un éternel recommencement, en somme.

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