Dans la forêt, je suis millionnaire

«C’est une église païenne, sans murs, seulement la canopée en guise de toit», écrit l’autrice.
Olivier Zuida Le Devoir «C’est une église païenne, sans murs, seulement la canopée en guise de toit», écrit l’autrice.

Je suis une retraitée qui a guéri sa dépression, entre autres, grâce à une forêt de Rimouski, dans le bas du fleuve. Peu importe la météo, je me balade dans « ma » forêt. Ce qu’on nomme la pharmacopée forestière regroupe tous les avantages pour la santé d’être en forêt, simplement en respirant et en laissant agir les nombreuses propriétés (anti-inflammatoires, anticancer, antistress) que nous procure la flore.

Mes enfants ont depuis longtemps quitté la maison et mon mari est décédé il y a cinq ans, pourtant, je ne me sens jamais seule entourée d’arbres. On communique, on se parle. Par bonheur, je croise d’autres gens seuls parlant aussi à voix haute. C’est moins cher qu’un psy. Lors des confinements liés à la pandémie de COVID, cette forêt a transformé mes tensions et mes angoisses en ressourcements apaisants. Les canicules, de plus en plus présentes, y sont tempérées naturellement. C’est une église païenne, sans murs, seulement la canopée en guise de toit. Dans mon wood, je suis une millionnaire.

Mais on ne voit pas tous les choses de la même façon. L’administration de la Ville de Rimouski a annoncé qu’elle allait raser ce jardin d’Éden pour construire une banlieue d’une autre époque de 800 unités d’habitation, et ainsi, transformer notre pharmacopée forestière en un immense îlot de chaleur avec du gazon en monoculture, des maisons avec stationnement, de nouvelles rues avec stationnements, de l’asphalte, du béton, des infrastructures, des services, des automobiles, etc.

J’ai assez lu Orwell pour me méfier de ceux qui disent que détruire, c’est construire. Ce projet immobilier ne comprendra aucun logement social ou communautaire, mais malgré cela, la raison principale de ce nouveau quartier serait de combattre la crise du logement. S’il suffisait de bâtir du logement pour régler la crise, ce serait déjà plus cohérent.

L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publiait récemment une étude qui affirme catégoriquement : « Tant et aussi longtemps que la majeure partie du parc locatif appartiendra au privé, la capacité des locataires à se loger convenablement sera toujours menacée. La construction de nouveaux logements est insuffisante pour remédier à la crise. »

Pendant que le pays brûle, le maire Guy Caron offre une majestueuse forêt magique à la demande des promoteurs privés qui bâtiront des logements hors de prix pour celles et ceux qui subissent le plus les crises — immobilière et écologique. Fin du monde et fin du mois, même combat. Heureusement, les citoyennes et les citoyens s’unissent pour empêcher la destruction de notre milieu de vie gratuit et curatif. Une large majorité des personnes consultées ont exprimé leur désaccord lors de rencontres d’information et de consultations en ligne, et une pétition de plus de 1100 noms a été déposée à la Ville.

Malgré tout, le maire Caron martèle que la Ville ira de l’avant. Comme le dit le secrétaire en chef de l’ONU : « Les politiques actuelles conduisent le monde vers un réchauffement de 2,8 °C. Cela annonce une catastrophe. Pourtant, la réponse collective est pitoyable. »

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