Pour une Opération Urgence Habitation

La nécessité de densifier le développement urbain s’impose, rapportent les auteurs.
Annik Mh De Carufel archives Le Devoir La nécessité de densifier le développement urbain s’impose, rapportent les auteurs.

La multiplication des propositions et des intervenants est bien susceptible de nourrir le sentiment d’impuissance chez beaucoup de nos concitoyens devant la crise du logement. Pour plusieurs, il suffirait de revenir à ce qui a déjà fonctionné pour en sortir. Pour d’aucuns, il suffirait de réaliser une autre Corvée-Habitation pour lancer une vaste mobilisation. Malheureusement, l’histoire ne se répète pas, même si elle peut nous inspirer.

Le Québec n’est pas, pour le moment du moins, en récession. Son taux de chômage avoisine les 4 %, ce qui le situe près du niveau du plein-emploi. En outre, le nombre de personnes au chômage se situe à quelque 185 000 (2,5 fois moins qu’en 1982), alors que le nombre total de postes vacants s’élève à quelque 215 000. Si, en 1982, le Québec vivait une pénurie conjoncturelle d’emplois, aujourd’hui, il est aux prises avec une pénurie structurelle de main-d’oeuvre. Quant aux taux d’intérêt, ils n’ont rien de comparable à ceux des années 1980.

Dans le contexte actuel, un ambitieux programme de construction résidentielle visant les segments du logement abordable du même genre serait sans doute contreproductif. Plutôt que d’accroître l’offre de logements abordables, il risquerait bien davantage d’accentuer les pressions inflationnistes dans le secteur de l’habitation.

En outre, le programme Corvée-Habitation a eu son principal effet dans le domaine des maisons unifamiliales et dans l’accès à la propriété. La crise actuelle du logement abordable se fait principalement ressentir dans les segments locatifs, alors que s’impose la nécessité de densifier le développement urbain. Pour cette raison également, il faut aborder le problème autrement.

Des objectifs adaptés

 

Ce que nous désignerons comme l’opération Urgence habitation doit poursuivre des objectifs adaptés à la situation actuelle, dont les quatre suivants :

Accroître rapidement l’offre de logements abordables.

Éviter d’accentuer les pressions inflationnistes sur le marché de l’habitation.

Mobiliser les ressources humaines et financières pour atteindre ces deux objectifs.

 

Contribuer aux objectifs de densification du territoire urbain, de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques.

Pour arriver à ces fins, les autorités publiques doivent d’abord réduire la pression cumulative que leurs programmes actuels d’investissements exercent sur le marché du travail et sur les carnets de commandes des entreprises dans le secteur de la construction. Pour ce faire, les gouvernements et les municipalités doivent différer certaines de leurs priorités pour faire primer l’urgence.

En reportant ou en allongeant les calendriers de certains investissements vus comme prioritaires, les décideurs publics pourront « faire de la place » aux urgences en matière d’habitation. Une telle stratégie permettra de mieux focaliser les budgets d’immobilisation, de faciliter la gestion de la dette, de dégager des ressources humaines qui seraient autrement affectées à d’autres projets, en plus de faciliter la planification des entreprises dont les carnets de commandes seraient autrement surchargés.

Il est également nécessaire, dans le cadre d’une opération Urgence habitation, de mobiliser les grands réservoirs de capitaux du Québec, y compris les fonds de travailleurs et les caisses de retraite québécoises, dans le respect de leurs politiques de placement. L’épargne des ménages peut aussi être mobilisée en ayant recours à des programmes fiscalisés (CELI, etc.).

En parallèle, le gouvernement du Québec et les municipalités devraient rapidement constituer des fiducies foncières, dont plusieurs exemples existent déjà en Europe. De telles fiducies permettent d’exercer un contrôle plus serré des coûts du foncier dans le développement de projets immobiliers — le gouvernement et les municipalités conservant la propriété formelle du foncier et attribuant des droits de construction aux promoteurs ou aux OSBL — et de réduire les pressions inflationnistes sur les coûts des logements, en particulier dans les différents segments du logement abordable.

Troisièmement, surtout dans le cas de grands sites urbains permettant d’accroître significativement l’offre de logements — comme ceux de l’hippodrome, de Louvain et de Lachine-Est dans le cas de Montréal —, d’importants investissements publics préalables sont nécessaires pour en permettre la viabilisation. Dans de tels cas, l’aménagement de districts énergétiques carboneutres, où les bâtiments riverains ont l’obligation réglementaire de se brancher à un réseau de distribution de chaleur et de froid exploité par un opérateur central, permet de réduire les coûts de construction des bâtiments (qui n’ont pas à se doter d’équipements de chauffage et de climatisation) et d’en réduire les coûts d’entretien (assumés par l’exploitant du réseau).

En incorporant d’entrée de jeu ces investissements dans les investissements de viabilisation de tels sites, l’aménagement du réseau de distribution est minimal, puisqu’il est partagé avec celui des autres réseaux souterrains. Si, en outre, les bâtiments sont conçus pour respecter des normes de type LEED, il est possible d’envisager que des sites complets de ce genre puissent devenir des territoires à énergie positive intégrés dans les trames urbaines du Québec.

Plusieurs autres mesures peuvent être incorporées à des coûts marginaux modestes dans de tels véritables écoquartiers carboneutres, à la condition d’être planifiées dès la conception de tels projets d’envergure. Peuvent ainsi être envisagées des initiatives en matière d’agriculture urbaine, de circuits courts d’économie circulaire, d’équipements collectifs scolaires, de mobilité active des personnes et d’installation de systèmes de navettes reliés aux équipements de transport collectif, etc.

Enfin, puisqu’une opération Urgence habitation doit viser en toute priorité les logements abordables locatifs, il est impératif qu’elle s’accompagne de mesures concrètes pour assurer la stabilité financière et la pérennité organisationnelle des organismes sans but lucratif, des coopératives d’habitation et des offices d’habitation dans l’ensemble du territoire du Québec.

Une telle opération serait dans la continuité de la culture de concertation que le programme Corvée-Habitation aura permis de mettre en place il y a une quarantaine d’années. Si tel était le cas, le Québec pourrait à nouveau tirer son épingle du jeu dans un contexte bien différent, mais tout aussi porteur.

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