Les causes oubliées de la crise du logement

S’il était taxé autant que les autres actifs financiers, l’immobilier perdrait de sa valeur absolue et relative, fait valoir l’auteur.
Olivier Zuida Le Devoir S’il était taxé autant que les autres actifs financiers, l’immobilier perdrait de sa valeur absolue et relative, fait valoir l’auteur.

Les gouvernements ne semblent pas avoir de solution claire à proposer pour rendre le logement plus abordable. Pourtant, ce n’est pas d’hier que les prix de l’immobilier augmentent : le Canada a affiché la plus importante croissance des prix de l’immobilier des pays G7 depuis 1995.

Les solutions proposées à la crise du logement visent généralement à bonifier l’offre de logements, notamment en construisant des logements sociaux ou en allégeant les réglementations. Or, la crise du logement et la hausse des prix de l’immobilier qui l’accompagne sont aussi causées par une demande excédentaire. Certes, la croissance de la population induite par l’immigration gonfle la demande de logements, mais les médias et les politiciens ont occulté deux autres facteurs cruciaux : la hausse des inégalités et la fiscalité.

La croissance des inégalités de revenu a été particulièrement importante au Canada dans les années 1990 et elle fut favorisée par une hausse du revenu des plus riches. Une étude récente de la revue scientifique Socio-Economic Review montre un lien direct entre la hausse des inégalités et le prix de l’immobilier. La hausse des revenus des plus riches augmente le niveau d’épargne et le nombre de personnes pouvant débourser une somme plus élevée pour s’acheter une résidence, ce qui se répercute sur les prix de l’ensemble du parc immobilier.

Ces ménages aisés transmettent leur richesse à leurs enfants grâce à l’héritage ou en participant à la mise de fonds pour un premier achat. Les jeunes issus de familles aisées contribuent à leur tour à une hausse des prix de l’immobilier qui rend le marché moins accessible pour les autres jeunes.

Bien que la hausse des inégalités se soit stabilisée au Québec et au Canada depuis le début du XXIe siècle, il faut reconnaître que notre tolérance collective pour des niveaux élevés d’inégalités contribue à la crise du logement.

Du côté de la fiscalité, une étude récente publiée dans le Journal of Public Policy montre que le Canada est particulièrement généreux avec les propriétaires : les mesures phares sont l’exemption de la taxe sur le gain en capital sur la résidence principale, la possibilité de déduire l’intérêt sur l’hypothèque d’un logement locatif de ses revenus locatifs, l’absence de taxe de vente sur les nouvelles constructions (au Québec) et la garantie offerte par la SCHL. Toutes ces mesures augmentent la demande et la valeur de l’immobilier. Elles furent sciemment implantées par l’État pour encourager l’accès à la propriété de la classe moyenne et favoriser son enrichissement. Cette stratégie a fonctionné : près des deux tiers des ménages sont propriétaires et leur valeur nette a augmenté de manière exponentielle depuis plusieurs décennies.

Réformer ou éliminer une ou plusieurs de ces mesures freinerait la demande et pourrait contribuer à résorber la crise du logement. Par exemple, le gouvernement pourrait imposer une taxe sur le gain en capital découlant de la vente d’une résidence principale. S’il était taxé autant que les autres actifs financiers, l’immobilier perdrait de sa valeur absolue et relative. Cette taxe serait payée en grande partie par les individus aisés et contribuerait donc à réduire les inégalités. Le gouvernement pourrait utiliser les milliards générés (l’exemption actuelle coûte très cher à l’État) pour stimuler l’offre de logements en subventionnant leur construction.

Or, cette mesure impose des coûts évidents aux propriétaires en réduisant leur richesse. Il est peu probable qu’elle soit adoptée par des partis politiques cherchant à plaire à la classe moyenne. Une étude publiée dans le Journal of European Social Policy démontre que face à une hausse des prix, les propriétaires s’opposent à des mesures interventionnistes qui réduiraient le prix de l’immobilier et vont davantage voter pour les partis de droite qui n’interviendront pas. On observe ainsi une polarisation croissante des préférences entre celles des locataires et celles des propriétaires.

Des mesures plus consensuelles, comme la taxation des investissements immobiliers étrangers, demandée par Montréal et rejetée par Québec, sont aussi mises de côté parce qu’elles risquent de réduire le prix de l’immobilier, et donc de diminuer la richesse des propriétaires. Les gouvernements se contentent plutôt d’augmenter l’accès au marché pour certains groupes. C’est le cas du CELIAPP, implanté par le gouvernement Trudeau, qui stimule encore plus la demande en ajoutant une autre mesure fiscale permettant aux plus aisés d’économiser davantage pour s’acheter une première propriété.

Pour régler la crise du logement, le gouvernement doit stimuler l’offre de logements et restreindre la demande à l’aide d’un cocktail de politiques publiques. Ces solutions complexes sont aussi politiquement difficiles à implanter parce qu’elles impliquent des arbitrages délicats entre les intérêts de différents groupes et nécessitent d’imposer des pertes à des groupes d’électeurs influents. Il n’est pas surprenant que les gouvernements penchent du côté de la majorité et aient attendu que la crise devienne trop importante pour être ignorée.

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