Et si on consultait les jeunes sur le cellulaire en classe?

«Si on faisait une éducation au numérique, on expliquerait aux ados comment [le téléphone cellulaire] est distrayant et quel en est l’impact potentiel sur leurs performances scolaires», écrivent les auteurs.
Photo fournie «Si on faisait une éducation au numérique, on expliquerait aux ados comment [le téléphone cellulaire] est distrayant et quel en est l’impact potentiel sur leurs performances scolaires», écrivent les auteurs.

Longueuil, un jeudi soir pluvieux d’août. À quelques jours de la rentrée sont réunis chercheuses et chercheurs en droit, en psychologie, en éducation, en communication. Entre deux hot-dogs, ça discute. « Vous en pensez quoi, de l’annonce du ministre Drainville sur l’interdiction des téléphones en classe ? »

En plus de notre penchant pour les grillades, ce qui nous réunit, ce sont nos recherches sur le numérique chez les jeunes ainsi que notre implication auprès du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne, un organisme qui a pour mission de parler de bien-être numérique avec les enfants et les ados dans les écoles par le biais d’ateliers.

Un long silence fait office de première réponse. Un pied dans les classes et l’autre dans la recherche, nous nous savons parmi les plus informés de ce domaine, à l’affût de la littérature scientifique, et pourtant émettre un avis sur une telle interdiction est loin d’être simple. Ce texte vise à faire connaître des éléments issus de notre conversation, qui, nous l’espérons, contribueront à alimenter les réflexions sur la question.

Au Québec, nous sommes surtout dans une approche individualiste de gestion du numérique : on s’informe des recommandations de la santé publique et on autorégule son propre temps d’écran. Cela en fait beaucoup sur les épaules des jeunes, des parents, et aussi des enseignants. C’est ainsi que nous saluons la prise en charge collective et solidaire du problème de la gestion des téléphones en classe par une directive claire du ministre de l’Éducation d’interdire formellement leur présence en classe.

Éducation

 

Cela dit, la manière dont cette idée est amenée envoie un message problématique aux jeunes : on interdit sans réellement éduquer. Or, l’éducation au numérique est une clé essentielle pour une utilisation plus saine du téléphone cellulaire à l’adolescence. C’est un peu ironique, venant du ministère de l’Éducation, n’est-ce pas ?

Pour le moment, l’interdiction du téléphone cellulaire à l’école semble avant tout fondée sur des inquiétudes de la part de parents ayant à coeur la réussite scolaire et éducative de leurs enfants ainsi que sur un sentiment de perte de contrôle des personnes enseignantes au regard de la gestion de leurs classes. Le téléphone est une source de distraction plus forte que l’ordinateur ou même la tablette en raison de son design, de sa mobilité et des usages que les jeunes en font hors de l’école, comme parler avec leurs amis. Il serait difficile de nier que cela constitue un enjeu important pour les professeurs et qu’il y a lieu de se pencher sur la situation. Nous l’admettons.

Cependant, considérant qu’une des missions de l’école est de veiller à la socialisation des jeunes, l’interdiction de téléphone cellulaire peut apparaître contraire à celle-ci. Rappelons que cette technologie est profondément ancrée dans l’univers social et culturel des jeunes. Le dialogue devrait être maintenu avec les adolescents sur les enjeux qui touchent leur vie numérique : ils sont les principaux intéressés par la question.

Qui plus est, qui dit interdiction dit surveillance. Comment les enseignants devront-ils agir et quels seront les moyens qui leur seront donnés pour faire respecter la directive ? C’est une chose d’adopter une loi, c’en est une autre de réfléchir à son application et à son effectivité dans la réalité de la vie en classe. Nous craignons que les professeurs, déjà surchargés et souvent très soucieux du bien-être de leurs élèves, n’entrent dans une dynamique de confrontation avec ces derniers, ne sachant pas trop comment gérer les conséquences en cas de non-respect de la mesure : punition, retrait du téléphone ou de l’élève, conséquence plus grave en cas de récidive ? Pas l’idéal pour le maintien d’une relation de confiance avec l’élève.

Où est la voix des jeunes ?

Si on faisait une éducation au numérique, on expliquerait aux ados comment cet appareil est distrayant et quel en est l’impact potentiel sur leurs performances scolaires. Nous le voyons lors de nos ateliers, les enfants et les ados ont la capacité, et la volonté, de comprendre.

Au bout du compte, à qui et à quoi sert cette interdiction ? Il semble qu’on revienne aux finalités de l’école. Si on souhaitait servir le bien-être numérique des jeunes et si on les écoutait, on apprendrait que leurs préoccupations se trouvent souvent au retour de l’école, durant les fins de semaine ou les vacances, lorsque le temps d’écran monte et que l’autocontrôle se fait difficilement.

À la fin de cette lecture, avant de vous empresser à communiquer vos idées pour ou contre l’interdiction du téléphone en classe, parlons de l’éléphant dans la pièce. Où est la voix des jeunes ? Est-ce que l’on s’intéresse suffisamment à leur voix dans ce débat ?

Dans votre salon ou votre classe, si un enfant ou un ado fait partie de votre vie, nous vous suggérons de lui demander son opinion. Puis, sans jugement, de lui offrir en cadeau votre écoute, parce que si le sujet nous préoccupe autant que l’encre qui coule sur la question, faisons preuve de curiosité et d’appui pour les premiers concernés. Nous avons à apprendre de leur réponse.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

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