Médias sociaux, une aberration à corriger

Le problème fondamental des médias sociaux, c’est leur modèle d’affaires, précise l’auteur.
Nathan Denette La Presse canadienne Le problème fondamental des médias sociaux, c’est leur modèle d’affaires, précise l’auteur.

La décision de Meta de bloquer les nouvelles canadiennes sur Facebook et Instagram, en réaction à l’entrée en vigueur prochaine du projet de loi C-18, fournit une nouvelle occasion de réfléchir au pouvoir que nous avons mis entre les mains de ces géants du Web.

Dans l’état actuel des choses, Meta a le droit de permettre à qui elle veut de fréquenter sa plateforme. C’est une entreprise privée, après tout. Et on ne peut pas lui reprocher de vendre à des annonceurs les données que nous lui fournissons. Nous avons tous accepté les conditions d’utilisation…

Selon le dernier rapport NETendances, 42 % de la population québécoise s’informe le plus souvent par le biais des médias sociaux. Or, Facebook peut prendre les décisions qu’elle veut en ce qui concerne l’information que verront (ou pas) ses utilisateurs. Son algorithme, qui fait le « tri » de l’information qui nous est servie, devient ainsi un improbable pilier de notre démocratie.

Un pilier 100 % privé, imaginé par des gens en Californie et visant l’enrichissement d’actionnaires.

Au-delà du débat entourant le projet de loi C-18 et de la pertinence de forcer des géants du Web à verser des redevances aux médias locaux, un constat important doit être fait : le problème fondamental des médias sociaux, c’est leur modèle d’affaires. Le capitalisme n’est pas soluble dans tout.

Une place publique qui n’en est pas une

Facebook, pour prendre cet exemple, a su rassembler au même endroit des millions de personnes en leur permettant d’échanger, de débattre, de partager de précieux (et moins précieux) moments de leur existence. À force d’être sur le réseau, nous avons commis l’erreur de croire que cette plateforme publicitaire était une place publique.

Facebook et cie utilisent les codes de la place publique, certes. C’est ce qui a fait leur succès : prendre le perron de l’église, les clubs sociaux et les assemblées de cuisine et remixer ces vieux rendez-vous dans une interface Web pratique, aux possibilités décuplées.

L’idée a séduit.

Aujourd’hui, toujours selon le rapport NETendances, 79 % des adultes québécois utilisent les médias sociaux et y consacrent près de trois heures par jour.

Des quantités énormes de temps de qualité accordées à des plateformes américaines, dont l’objectif est le captage et la revente de nos faits et gestes numériques. Des minutes qui ne reviendront jamais à débattre de la couleur du vide dans le saloon d’un multimilliardaire au comportement pour le moins instable. Des heures à regarder d’innocentes vidéos sur une plateforme TikTok, qui compte le gouvernement totalitaire chinois parmi ses actionnaires… et qui pourrait bien servir de cheval de Troie pour nous espionner !

Tout ceci n’est-il pas complètement insensé ?

Va-t-on encore longtemps laisser le continent numérique être nivelé, géré, structuré par des entreprises étrangères et capitalistes ?

Pour l’étatisation des médias sociaux

La situation qui a mené à la création d’Hydro-Québec en 1944 et à la nationalisation de l’électricité n’est pas très éloignée de ce que nous subissons aujourd’hui avec les médias sociaux capitalistes.

À l’époque, la multitude d’entreprises d’électricité privées faisait le jour et la nuit (littéralement !) en engrangeant des profits exorbitants, en offrant un service souvent médiocre et en refusant de desservir des zones jugées peu rentables (comme les milieux ruraux).

L’industrie privée de l’électricité usait de son emprise sur le quotidien des gens pour imposer ses règles, au détriment du bien commun.

Peut-on aujourd’hui imaginer une société où la population serait soumise aux diktats d’une entreprise d’électricité privée qui n’hésiterait pas à augmenter ses tarifs au gré de son humeur et qui couperait le courant aux ménages qui se plaindraient un peu trop ?

Il m’apparaît y avoir d’instructives comparaisons à faire entre le déploiement du réseau électrique et l’essor des médias sociaux. L’un comme l’autre est rapidement devenu un socle sur lequel nos sociétés se sont développées.

Les médias sociaux sont là pour rester. Mais leur actuel modèle d’affaires est tout simplement inadapté au rôle central qu’ils jouent désormais dans nos vies, notre société, notre économie et notre démocratie.

Pour une place publique virtuelle… publique

Une place publique virtuelle sans but lucratif, gérée de façon transparente, c’est peut-être ce dont nous avons besoin en ce début de XXIe siècle. Car le siècle est assez mal parti et les Facebook de ce monde ont assurément propulsé le grand bond en arrière que nous avons fait, socialement parlant.

Une société d’État qui mettrait en place une véritable place publique virtuelle, avec l’idéalisme qui a fait naître Hydro-Québec à son époque, apparaît comme un moyen de contenir, entre autres, la désinformation, les discours haineux et les théories du complot qui nous font régresser comme société.

Un média social doté d’un comité éthique sérieux, axé sur le bien commun, refuserait d’enfermer la population dans des algorithmes opaques, des bulles de filtres dangereuses qui polarisent comme jamais nos sociétés.

Une telle place publique considérerait les médias d’information comme des partenaires et non comme des nuisances. La publicité pourrait contribuer au financement de cette plateforme, bien sûr, mais en n’ayant pas nécessairement pour objectif la maximisation des profits au détriment du rôle que doit jouer une place publique virtuelle.

Créer cette place publique virtuelle n’est pas une idée nouvelle, mais elle fait son chemin. Et chaque jour, elle gagne de nouveaux adeptes. L’occasion est belle pour agir et enfin corriger cette aberration.

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