La laïcité, un principe phare de l’identité profonde du Québec

À l’heure où la loi 21, portant sur la laïcité de l’État, est âprement contestée devant les tribunaux et où on attend encore la décision de la Cour, ce ne sont pourtant pas ses aspects juridiques ou purement constitutionnels qui nous interpellent le plus, mais surtout ses aspects sociaux et politiques.
Attaquons-nous d’abord à un mythe tenace dans certains milieux : la laïcité ne va pas à l’encontre de la liberté de religion ! Elle en fait plutôt partie intégrante. Elle en constitue une dimension essentielle. Entre autres, la laïcité rejoint la distinction qui doit exister entre l’Église et l’État.
De fait, le principe de la séparation entre l’Église et l’État est fondamental. Il permet à ce dernier de ne favoriser aucune religion, grâce à une approche ancrée sur la neutralité. Cette neutralité comporte plusieurs facettes, dont celle de ne pas avoir une religion étatique ou d’évacuer les convictions religieuses des services publics. Dans cette conception, la laïcité constitue un élément structurel de l’organisation sociale et un principe cardinal des rapports entre l’État et le public.
Cette laïcité implique plus qu’une séparation de la société civile et de la société religieuse. C’est ni plus ni moins qu’un devoir d’objectivité et de neutralité de la part de l’État, lequel ne doit se laisser guider que par les valeurs inhérentes à la démocratie.
Non seulement n’existe-t-il pas de religion d’État au Québec ni au Canada, mais, en plus, l’État ne doit pas exposer les citoyens à des signes ou symboles religieux qui entacheraient sa neutralité réelle, perçue et potentielle.
Il ne s’agit pas d’une neutralité passive, voulant que tout soit permis en matière religieuse. Il s’agit plutôt d’une neutralité active, en vertu de laquelle l’État doit se comporter d’une manière qui démontre clairement que les religions ne s’immiscent pas dans sa composition et ses activités.
Projet de société
D’ailleurs, nous estimons qu’il y a lieu de rejeter d’emblée l’approche individualiste que certains entretiennent en matière de laïcité. Au contraire, celle-ci constitue un véritable projet de société large, englobant et engageant, mettant en cause l’ensemble des rapports de l’État avec les citoyens et les citoyennes.
La laïcité est un mode de gestion de l’État hautement légitime, qui ne doit pas être examiné avec une vision microscopique. Elle doit plutôt être abordée de façon globale, en tenant compte des impératifs et des besoins identitaires de la société québécoise et de l’importance que l’espace étatique soit dépourvu de signes ou symboles religieux.
En ce sens, la laïcité figure au premier plan de la définition de l’identité constitutionnelle du Québec au sein du fédéralisme canadien. Il s’agit d’un principe fondateur de la spécificité québécoise, de son unicité en tant que nation distincte à l’intérieur du Canada.
En effet, la laïcité fait partie des valeurs largement partagées par les Québécois et les Québécoises. Elle façonne, avec quelques autres principes, la « physionomie » du Québec moderne. En vertu de cette laïcité, l’environnement étatique doit être déconfessionnalisé, surtout lorsqu’il est question de services publics ou de personnes se trouvant en position d’autorité.
En particulier, la laïcité permet à l’État québécois d’affirmer et de reconnaître son rapport particulier avec la religion sur son territoire. D’ailleurs, la neutralité en matière religieuse dans les institutions étatiques du Québec est d’autant plus pertinente qu’elle revêt un sens particulier à la lumière de la relation historique — ou, devrions-nous dire, des relations historiques — que les Québécois et Québécoises ont entretenu avec la religion.
Le statut distinct du Québec dans l’ordre constitutionnel canadien milite en faveur de l’existence et de la reconnaissance de droits collectifs tacites, dont le droit de déterminer la place de la religion au sein de l’appareil étatique québécois. Le Québec a tout à fait le droit de faire des choix différents de ceux de ses partenaires fédératifs. Cela est compatible avec le fédéralisme, dans ce qu’il a de général et d’universel.
Entre autres, le Québec devrait adopter une Constitution qui lui soit propre. Elle devrait énoncer, définir et détailler les principes que les Québécois et Québécoises considèrent comme fort importants pour la bonne gouverne de la société, dont la laïcité. Ainsi mentionnée dans ce qui serait appelé à devenir l’acte refondateur du Québec, soit la Constitution du Québec, la laïcité figurerait au premier rang des grandes valeurs québécoises, des principes chers à la nation.
Mais encore, il est important — voire capital — que les tribunaux respectent les choix collectifs des Québécois et Québécoises, tels qu’exprimés et assumés par l’Assemblée nationale du Québec et les autres institutions politiques québécoises. Cela n’est pas chose facile, car les tribunaux du Québec et du Canada ne font preuve généralement que d’assez peu de sensibilité à l’égard de la réalité sociologique propre au Québec.
À l’heure actuelle, les cours ne sont pas suffisamment compréhensives et conciliantes à l’égard des choix collectifs faits par la société québécoise dans l’ensemble canadien. Pourtant, l’Assemblée nationale et le gouvernement du Québec devraient avoir le droit de mener leur propre politique de régulation du domaine religieux, indépendamment des diktats des tribunaux.
Somme toute, l’on ne doit pas laisser aux juges — si bien intentionnés, sages et philosophes qu’ils puissent être — le soin de décider d’un projet de société pour l’ensemble du Québec, enraciné dans le principe de la démocratie. Dans la mesure où la laïcité est exprimée par l’État québécois, dans la sphère qui relève de celui-ci, les tribunaux devraient déférer aux choix faits par les Québécois et les Québécoises pour la neutralité de l’appareil étatique.
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