La population n’est pas informée des fuites provenant des pipelines

«Nos élus doivent intervenir pour obliger les compagnies pipelinières à déclarer les fuites pétrolières de 25 litres et plus», écrivent les auteurs.
Jason Franson La Presse canadienne «Nos élus doivent intervenir pour obliger les compagnies pipelinières à déclarer les fuites pétrolières de 25 litres et plus», écrivent les auteurs.

Chaque jour, des dizaines de millions de litres de liquides pétroliers transitent dans des pipelines qui sillonnent le Québec. Souvent, des fuites surviennent, pour la plupart de 1500 litres ou moins. Mais malheureusement, en vertu du Règlement de la Régie canadienne de l’énergie sur les pipelines terrestres, leurs opérateurs ne sont pas tenus de déclarer ces fuites. Ni d’en informer les municipalités touchées.

Pourtant, de telles fuites peuvent bel et bien être dangereuses. Compte tenu du risque d’incendie, Santé Canada recommande d’ailleurs l’évacuation d’un rayon d’au moins 300 mètres en cas de déversement de pétrole brut supérieur à 208 litres. Mais comment procéder à une telle évacuation si les fuites pétrolières de 208 à 1500 litres ne sont pas divulguées ?

Ces déversements peuvent aussi causer des intoxications. À court terme, les hydrocarbures volatils, comme le benzène, peuvent provoquer étourdissements, nausées, vomissements, céphalées et somnolence. À plus long terme, l’exposition au benzène peut entraîner une baisse des lymphocytes, des problèmes reproductifs et différents types de leucémies. Une fuite non signalée de 1500 litres de bitume dilué peut contenir deux kilos de benzène. La norme québécoise au-delà de laquelle l’eau potable est impropre à la consommation correspond à 2 kg de benzène mélangés à quatre milliards de litres d’eau, soit le volume d’un lac d’un kilomètre de diamètre et profond de cinq mètres.

Au Québec, le Règlement sur le transport des matières dangereuses exige la déclaration des rejets accidentels de substances dangereuses. En 2007, la Cour du Québec a refusé de définir un seuil minimal : tous doivent donc être signalés. Mais la majorité des fuites issues d’un pipeline connues ne figurent pas au Registre des interventions d’Urgence-Environnement.

On se souviendra qu’en 2018, un passant ayant observé une fuite de l’oléoduc 9B d’Enbridge à Mirabel avait alerté les médias. Le gouvernement du Québec n’a diffusé aucune information à ce sujet. Est-ce Enbridge qui n’a pas respecté l’obligation d’aviser les autorités du volume de la fuite ? Ou est-ce le gouvernement qui n’a pas assumé sa responsabilité d’informer le public ?

En Ontario, un règlement oblige explicitement les compagnies pipelinières à déclarer les fuites supérieures à 25 litres. Aux États-Unis, les fuites de plus de 19 litres qui atteignent l’eau doivent être déclarées à un organisme fédéral. Pourquoi le Canada se contente-t-il de fixer la limite à 1500 litres ?

Les municipalités réglementent elles aussi la divulgation des fuites. Ainsi, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a adopté un règlement sur l’assainissement des eaux qui oblige la déclaration des déversements accidentels de contaminants susceptibles d’atteindre un ouvrage d’assainissement. Mais cette réglementation offre une protection trop limitée, puisqu’en 2011, Enbridge n’a pas rapporté une fuite de 4000 litres survenue à sa station de pompage de Terrebonne, bien que le campus de l’UQAM dans Lanaudière et divers commerces, dont un restaurant Tim Hortons, se trouvent à moins de 300 mètres de l’endroit.

Des gestes à poser, des décisions à prendre

Au vu des risques et de cette négligence, nous demandons à Ottawa d’abaisser le seuil prévu à son règlement, et à Québec d’obliger les compagnies pipelinières à déclarer aux instances compétentes et aux municipalités concernées toute fuite de plus de 25 litres de liquide pétrolier. Il est aussi essentiel de rendre publiques ces fuites, en les inscrivant dans le Registre des interventions d’Urgence-Environnement, par exemple.

Au cours des derniers mois, ces demandes ont été appuyées par une trentaine de scientifiques, dont le directeur du Centre de recherche en écotoxicologie du Québec, Patrice Couture, et par plus de 20 organisations environnementales, notamment Équiterre, Greenpeace, Eau secours, Nature Québec et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique.

Elles ont aussi été soutenues à l’unanimité par les 23 municipalités de la MRC de Vaudreuil-Soulanges, ainsi que par les villes de Mirabel et de Montréal-Est. Enfin, lors de la séance du 15 juin dernier, la présidente de la CMM, Valérie Plante, a déclaré que cette démarche « s’inscrit dans notre volonté de pouvoir avoir un meilleur contrôle du territoire ».

Le 5 juin dernier, ces demandes ont été envoyées par courriel à plusieurs ministres et hauts fonctionnaires à Ottawa et à Québec.

Nous sommes sans réponse du Québec, mais nous avons reçu de la Régie de l’énergie du Canada une invitation à participer à une future consultation publique. Lors d’autres exercices du genre, davantage de transparence avait été réclamée ; toutefois, depuis deux ans, la régie fédérale a cessé de rendre publiques même les fuites dépassant les 1500 litres ! Ce manque de transparence ne profite qu’aux opérateurs de pipelines, et ce, au détriment de la population.

Nos élus doivent intervenir pour obliger les compagnies pipelinières à déclarer les fuites pétrolières de 25 litres et plus. Cette information est essentielle à la protection de notre eau potable.
 



Une version précédente de ce texte indiquait que des demandes ont été envoyées par courriel à plusieurs ministres et hauts fonctionnaires à Ottawa et à Québec, le 31 mai dernier. Il s'agit bien du 5 juin.

 

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