La lutte aux profilages, une priorité aux oubliettes?

La communication publique sait à quel point le vendredi soir 17 h est un moment privilégié pour enterrer des rapports, des débats, des réflexions. Mais plus que le vendredi, le jeudi 14 h 30, la veille d’une longue fin de semaine de célébration de la fête nationale et du début des vacances pour de nombreuses personnes et organisations, paraît être un meilleur moment. C’est celui-là que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a choisi pour présenter les résultats du deuxième rapport de recherche commandé à des chercheurs sur les interpellations et le profilage. C’est donc dire à quel point les profilages sont d’intérêt au SPVM !
Ce « non-événement » n’est qu’un de plus dans l’absence de débats, de réflexions et d’actions en matière de lutte contre les profilages à Montréal. Le mot profilage n’est d’ailleurs ni dans le rapport annuel de 2021 du SPVM ni dans celui de 2022, même si on y apprend que le SPVM a participé à huit tournages de séries documentaires (sic). L’activité télévisuelle du SPVM semble plus importante à présenter dans un rapport qui a pour objectif une forme de reddition de comptes des activités aux Montréalaises et Montréalais que la réalisation d’engagements en matière de profilage.
Certes, lors de cette conférence de presse, le 22 juin dernier, le directeur du SPVM a réitéré la reconnaissance du racisme systémique tant au sein de la police qu’au sein de la société. Pourtant, le déni et la résistance au changement semblent surtout caractériser le SPVM tant historiquement qu’actuellement. Il en a aussi appelé à la patience, en présentant les mesures qu’il souhaite mettre en place. Elles s’orientent vers une meilleure diversité et représentativité dans la gestion des ressources humaines au sein de l’organisation. Ces objectifs sont louables et nécessaires, mais ont peu à voir avec la lutte contre les profilages.
La féminisation des forces policières et des professionnelles judiciaires dans les 30 dernières années a en effet peu amélioré le traitement des violences conjugales et sexuelles faites aux femmes. Pourquoi ? Parce que la lutte contre le sexisme et le racisme dans leurs dimensions systémiques n’est pas une question de personne, mais de politiques institutionnelles, de pratiques, de volonté d’agir autrement, de dépassement des statu quo. Le directeur du SPVM le sait ; il a lui-même rappelé que des politiques pensées à l’extérieur de son organisation, comme le fait d’exiger que les policiers et policières sachent nager, constituent un obstacle à sa stratégie de recrutement de nouvelles personnes dont la formation, les compétences ou l’origine seraient différentes. Il s’agit là effectivement d’une discrimination indirecte.
Politique d’interpellation
Du même souffle, le directeur a considéré que la politique d’interpellation de son organisation devait être maintenue même si elle a des effets directement discriminatoires, comme en témoignent les résultats de l’étude. Il a même ajouté que suivre l’unique recommandation des chercheurs en regard de la mise en place d’un moratoire sur la politique d’interpellation serait une « mesure symbolique ». Pourtant, ce moratoire est un impératif pour cesser le profilage et les violations de droits issues de la pratique des interpellations. Rappelons aussi qu’en février 2023, la Ligue des droits et libertés a lancé une campagne exigeant l’interdiction des interpellations au Québec, une revendication qui est appuyée par plus de 90 organismes de la société civile.
Qu’en est-il de cette politique d’interpellation construite il y a quelques années comme la solution aux profilages ? L’étude, même si elle porte sur les interpellations que les policiers et policières ont choisi d’enregistrer — évidemment on ne sait rien de celles qui ne sont pas enregistrées —, conclut que rien n’a changé entre le premier (2019) et le deuxième rapport (2023), malgré l’implantation de cette politique d’interpellation. Ce n’est pas l’encadrement de l’interpellation policière qui permettra de sortir des pratiques discriminatoires, comme en témoignent les résultats de l’étude, c’est l’interdiction de l’interpellation policière qui y mettra fin.
La politique actuelle dit que les policières et policiers doivent avoir des « faits observables » pour justifier une interpellation. Or, l’étude montre que les faits observables qui justifient une interpellation planent davantage autour des personnes autochtones, des jeunes Noirs et des jeunes Arabes. Et que dit le directeur du SPVM ? Soyez patients et patientes. En 2030, 2050, vous pourrez prendre une marche le soir dans votre quartier sans être interpellé de manière disproportionnée. En attendant, les « faits observables » vont pouvoir se nourrir des stéréotypes et des préjugés, et les policiers et les policières sont autorisés par leur direction à agir de manière discriminatoire. Ce positionnement n’est malheureusement pas surprenant, mais représente un élément supplémentaire qui témoigne de l’absence de volonté d’inscrire les pratiques policières montréalaises dans l’état de droit, le respect des chartes et, notamment, le droit à l’égalité de traitement. La justice viendra, selon les promesses, dans quelques années ou décennies.
En attendant, l’autorisation de discriminer est maintenant ouverte, formelle et se fait en tout état de connaissance. Le clamer était sûrement un peu trop fort. Jeudi, 14 h 30, avant la fête nationale, était assurément le meilleur moment pour le dire. Tout cela montre que la solution en matière de profilage ne peut venir du SPVM. La Ville de Montréal tout comme le gouvernement du Québec doivent agir de manière urgente pour mettre fin aux pratiques policières discriminatoires, en s’attaquant à la question des pouvoirs policiers, plutôt que de laisser faire les forces policières le temps que les temps changent.
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