Un recadrage s’impose à propos du PL23 et son institut d’excellence

Nous nous étonnons des propos d’un groupe de collègues universitaires au sujet du projet de loi 23 et de ses présumés effets délétères sur la production scientifique en éducation. Nous nous étonnons, aussi, de voir circuler une sorte de « procès d’intention » mal informé sur les finalités de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) que le ministre souhaite créer.
Selon ce groupe, un tel Institut ne viserait que la domination d’une seule sorte d’attitude épistémologique face à la science, et ce, même si le rapport du groupe de travail à l’origine du projet affirme explicitement le contraire. Il nous semble à propos de recadrer certains faits.
1. La création de l’INEE n’affecte aucunement la liberté académique des universitaires de mener des recherches selon les méthodes et les problématiques et sur les objets de leur choix, ni de diffuser leurs résultats dans les cadres et selon les moyens de leur choix.
2. La création de l’INEE n’affecte aucunement le mandat, les pouvoirs et l’autonomie des Fonds de recherche du Québec (FRQ) qui financent la recherche universitaire, en sciences de l’éducation comme dans les autres domaines.
3. Il s’impose de très bien lire plusieurs éléments du projet de loi lui-même qui éclairent correctement les choses :
D’abord, l’article 4 de la future Loi sur l’INEE exige de l’Institut qu’il « exerce [sa] mission dans le respect des valeurs de rigueur, d’objectivité, de transparence ainsi que de coopération avec les organismes qui peuvent y contribuer ». Sur ce point, nos collègues pourraient contribuer constructivement au débat en proposant d’ajouter « et dans le respect de la liberté académique telle que définie par la Loi sur la liberté académique en milieu universitaire ».
Ensuite, l’article 8 prévoit un conseil d’administration composé d’une présidence distincte de la direction, ainsi que du scientifique en chef, de membres indépendants et du président ou de la présidente du Conseil de l’enseignement supérieur (ou du Conseil supérieur de l’éducation), ce qui empêchera l’INEE d’être un jouet ou une officine aux mains du ministre.
Puis, les articles 11 à 13 prévoient des obligations de transparence et la création d’un comité scientifique distinct, selon des formules qui ont déjà empiriquement fait leurs preuves dans d’autres organismes comparables, tant au Québec (comme l’INESSS) qu’ailleurs.
Enfin, l’article 14 sur les programmes de formation menant à une autorisation d’enseigner n’accorde au ministre que des pouvoirs dont il disposait déjà.
4. Les bonnes pratiques actuelles concernant les données probantes et leurs dispositifs, comme l’INEE, prévoient déjà explicitement la valorisation d’un pluralisme des approches. La réalité empirique du Québec et d’ailleurs nous le confirme. La création de l’INEE n’empêchera pas le pluralisme des approches, d’autant moins que tout universitaire demeure libre de ses choix personnels pour orienter son activité de recherche et d’autant moins que toute tentative d’imposer une orthodoxie se heurtera inévitablement aux plus fortes résistances et finira par échouer, comme l’histoire des sciences le démontre abondamment.
5. Tous les secteurs d’activité professionnalisés comprennent qu’un recours mieux structuré aux résultats scientifiques est une bonne chose. C’est un vecteur à la fois de développement professionnel pour les intervenants et de justice sociale pour les élèves, surtout les plus vulnérables.
Bref, la construction du savoir scientifique est un processus dynamique et autonome que la création de l’INEE n’affectera certainement pas négativement : il n’en tient qu’aux universitaires en éducation d’y contribuer par la qualité et la pertinence de leurs recherches.
Par ailleurs, le projet de loi 23, lui, est un choix gouvernemental et il incombe aux législateurs d’en disposer. Dans ces conditions, faire pression sur le scientifique en chef pour qu’il s’y oppose publiquement serait ruiner toute son autorité future auprès du gouvernement et le rendre incapable de défendre la science et ses exigences, ce dont la première victime serait la communauté scientifique québécoise. Les consultations actuelles permettront au gouvernement, nous n’en doutons pas, de faire les ajustements appropriés pour atteindre les cibles visées.
Mais comme chercheurs, nous souhaitons à rappeler que, in fine, notre tâche auprès des décideurs est de conseiller les élus en faisant état sobrement et avec humilité de l’état des connaissances et de leurs implications, et certainement pas d’essayer de dérouter le processus politique par des propos infondés.
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