L’école mérite mieux que des querelles de chapelle

Crier au loup ne sert à rien lorsqu’on ne voit encore qu’une ombre. Une partie des universitaires du monde de l’éducation se chicane sur l’avenir d’un projet de loi sans pouvoir savoir ce que ce dernier deviendra.
Cela m’a conduit à reprendre une position critique sur tous les discours en éducation.
1. L’analyse critique des théories de la connaissance aboutit in fine à constater que chacune des théories se construit sur un postulat indémontrable et qu’en conséquence chacune des théories de la connaissance repose sur un acte de foi. Cet acte de foi est partagé par ceux qui adoptent une des postures épistémologiques favorisées selon les époques et les instrumentations intellectuelles et technologiques disponibles dans les diverses disciplines. En fin de compte, il n’y a pas une posture épistémologique plus proche de la vérité qu’une autre : le jugement en cette matière est indécidable.
La seule solution pour sortir de cette indécidabilité est une convention pragmatique qui repose sur une acceptation de ce que sont les théories scientifiques, ou la connaissance attestée. Une théorie scientifique n’est jamais qu’une hypothèse, ou une suite d’énoncés hypothétiques connectés et parfois ordonnés. Une hypothèse scientifique est un énoncé contestable, provisoire, relatif, conditionnel et conjectural. Dès lors, toute hypothèse sera tenue pour une description suffisante de ce que l’on veut expliquer ou comprendre si elle résiste à l’épreuve de faits récoltés selon les méthodes admises pour pertinentes et performantes.
Cette pertinence et cette performance sont établies si des chercheurs du domaine, ayant des a priori différents, admettent la validité de la procédure utilisée pour construire les données, les transformer selon des codes numériques ou des codes sémantiques et réaliser des condensations et des classifications auxquelles on peut attribuer une signification qui répond au but de la recherche. C’est l’accord sur la pertinence et l’efficacité de la méthode qui établit la force hypothétique de l’interprétation des résultats.
2. Tant dans les sciences humaines et sociales que dans les sciences de la santé, il n’y a aucun énoncé scientifique qui puisse effectivement imposer une action entre humains si celle-ci n’est pas minimalement compatible avec l’éthique et la morale partagées par la communauté où cette action doit se réaliser.
Le but de la recherche scientifique est justement de faire contrepoids aux valeurs, aux idéologies et aux politiques qui peuvent dominer la scène humaine. Depuis la fin du XIXe siècle, le but manifeste de la recherche scientifique en pédagogie est que l’éducation des enfants n’ait plus pour seule finalité d’en faire des religieux, des gens asservis au pouvoir des princes ou des ouvriers à la solde de l’industrialisation. C’est cette même finalité qui a réapparu avec la quête de données probantes dans un XXIe siècle où l’espace public redevient de plus en plus religieux.
3. Par ailleurs, dans la plupart des cultures autochtones de l’Amérique du Nord, le cercle de médecine, ou le cercle du bien vivre la vie, implique que quatre dimensions soient prises en compte et équilibrées. Si on les traduit dans notre vocabulaire, ces dimensions sont le matériel, le spirituel, le rationnel et l’émotionnel. La sagesse autochtone nous dit qu’on ne peut pas mener une bonne vie et être sage si on ne considère qu’une ou deux de ces quatre dimensions, si on ne se laisse guider que par certaines, au détriment des autres dimensions. C’est sans doute l’un des problèmes majeurs de nombreux hommes politiques et gouvernements, qui privilégient l’économique et l’individuel sans tenir compte de l’écologique et du social.
4. L’avenir est imprévisible. L’histoire, tant du cosmos que de l’humanité, montre que nous faisons partie d’un système complexe (au sens de la théorie des systèmes), et qu’on ne peut prévoir l’impact de l’évolution d’un élément encore non identifié ou incontrôlable sur l’ensemble du système. D’autant plus que toute intervention sur le système, même celle dont les intentions sont les plus nobles, peut avoir des effets pervers, c’est-à-dire des effets, imprévisibles au départ, qui s’avèrent problématiques par la suite. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement avec le climat.
En conséquence, dans les disputes qui deviennent acrimonieuses au sujet de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) par rapport au CSE, la position la plus efficace, à mon avis, serait de maintenir les deux organismes, un INEE, comme prévu, et un Conseil supérieur de l’éducation (CSE) avec le mandat et les modes de fonctionnement actuels. Disposer des deux organismes permettrait aux ministres successifs de pouvoir prendre des décisions un peu plus équilibrées, contrebalançant le matériel avec le spirituel, le rationnel avec l’émotionnel, les conclusions des données scientifiquement établies avec le consensus des discussions d’experts issus des milieux concernés.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.