Amira Elghawaby: L’islamophobie, toujours une menace pour nos vies et notre démocratie

Il y a exactement un an, le cousin de Yumnah Afzaal est monté sur scène pour partager ses souvenirs de la jeune étudiante au secondaire. Elle avait 15 ans quand elle a été tuée, de même que ses parents et sa grand-mère, lors d’un acte haineux et meurtrier survenu à London, en Ontario, en 2021. « C’est comme si c’était hier et que je ressentais toujours la chaleur des membres de ma famille avec moi », a confié Esa Islam à une foule de résidents de London et de dignitaires réunis pour une veillée et une marche en mémoire du massacre.
« Cela me manque de pouvoir aller chez eux et d’avoir des conversations amusantes sur Harry Potter avec Yumnah ou d’être accueilli chaleureusement par ma tante et mon oncle », a-t-il poursuivi. Le jeune homme marquera la tragédie pour la deuxième année de suite aujourd’hui aux côtés de nombreuses autres personnes, notamment des membres de la Youth Coalition Combatting Islamophobia, une initiative soutenue par la ville de London, des membres de la communauté et des alliés.
Au lieu de se consacrer aux préparatifs pour le bal des finissants et la remise des diplômes, ce groupe d’adolescents et de jeunes adultes a passé deux ans à trouver la meilleure façon de commémorer le meurtre de cette famille heurtée par un camion conduit par un homme lors d’une chaude soirée de juin 2021. Ils ont notamment créé des vidéos percutantes à partir de leurs témoignages, ainsi que du matériel pédagogique à l’intention des enseignants d’élèves de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire.
Dans le cadre d’une première visite officielle, au printemps dernier, j’ai rencontré Esa et ses proches, qui s’occupent désormais du petit frère de Yumnah, devenu orphelin à la suite de l’attaque. Les membres de la famille ont exprimé leur espoir que l’islamophobie soit prise au sérieux en tant que phénomène minant la cohésion sociale et pouvant même avoir des conséquences mortelles dans une démocratie qui a pourtant inscrit la liberté de croyance et l’égalité dans sa constitution.
Ils ont bien du travail devant eux, comme beaucoup d’entre nous. Un sondage réalisé au printemps par Léger, pour le compte de Maple Lodge Farms, a révélé que moins de 46 % des Canadiens se considèrent comme des alliés des communautés musulmanes. Un autre sondage récent réalisé par Angus Reid a montré que l’islam est la religion la plus mal perçue au pays.
Il n’est donc pas étonnant que des inquiétudes persistent. Les musulmans de London évoquent des craintes latentes lorsqu’ils se promènent dans leurs quartiers ; les enfants s’inquiètent du voile que portent leur mère ou leur soeur. Les responsables des mosquées continuent d’être aux prises avec des questions de sécurité, notamment celle qui a trait à leurs fonds limités quand il s’agit d’embaucher des agents de sécurité lors des événements communautaires.
Les préoccupations exprimées par ceux-ci ne sont ni nouvelles ni inhabituelles. Dans les trois principales provinces où résident des musulmans — l’Ontario, le Québec et l’Alberta —, des inquiétudes semblables ont été exprimées, mais avec des nuances qui reflètent les différences de géographie, d’histoire et de représentation.
Par exemple, à Edmonton, le groupe Sisters Dialogue a expliqué que de nombreuses femmes musulmanes noires craignent de sortir seules et se déplacent encore souvent en groupe après une série d’attaques sur une période de huit mois, en 2020 et 2021, et qui ont semé la panique dans ces communautés. Même si les services de police de la ville et d’ailleurs continuent de leur promettre leur soutien, on constate régulièrement un manque de confiance envers les forces de l’ordre quand vient le temps de prendre des mesures significatives afin de tenir les auteurs de violence responsables de leurs actes.
Certains musulmans de Calgary ont toutefois reconnu que l’ajout de plusieurs groupes d’extrême droite à la liste des entités terroristes du Canada avait entraîné une diminution des menaces. Les leaders communautaires continuent de contribuer à favoriser les partenariats afin d’assurer leur sécurité et celle des autres minorités ciblées, ainsi que pour promouvoir l’éducation.
À London, ils travaillent notamment avec la municipalité pour mettre en oeuvre une stratégie de lutte contre l’islamophobie et embaucher un conseiller de liaison avec la communauté musulmane. Des travaux sont également en cours pour renforcer le règlement sur le harcèlement dans la rue, de manière à ce qu’il intègre les identités protégées en tant que motif supplémentaire pour imposer une amende à une personne accusée de harcèlement.
Ces inquiétudes entourant la sécurité, la discrimination et l’inclusion soulignent la fragilité de notre démocratie et de notre sentiment d’appartenance, en particulier à une époque de polarisation croissante et d’effets pernicieux de la haine en ligne et des récits qui sèment la division.
Comme l’a récemment expliqué Yascha Mounk, politologue et auteur, dans le balado intitulé On the Frontlines of Democracy, pour qu’une société libérale reste prospère et dynamique, les gens doivent être libres d’établir des relations de confiance, voire d’amitié, entre eux tout en pouvant assumer fièrement des identités différentes. Cela peut se produire seulement si nous nous efforçons collectivement de lutter contre l’islamophobie et d’autres formes de racisme.
Nous saurons que ce jour est arrivé lorsque nos jeunes n’organiseront plus de veillées à la mémoire de leurs amis et des membres de leurs familles dont la vie a été écourtée par la haine.
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